Podgorica (Monténégro) – Shkodër (Albanie)

 

 

Après une nuit agitée que Karin a principalement passé au-dessus de la cuvette des toilettes, nous errons au petit matin dans la maison tel.le.s deux zombies mal réveillé.e.s et bien mal en point … à nouveau !

 

Passer dans la cuisine devant les nombreuses bouteilles de rakija provoque des remontées nauséeuses … vraiment peu agréables. La journée commence bien … mal !

 

Le petit-déjeuner passe tant bien que mal, … plutôt mal que bien d'ailleurs ! Nous nous agitons mollement et lambinons frénétiquement … impossible d'agir efficacement, le ventre noué, la tête en vrille et le cerveau aussi dynamique qu'un caramel mou neurasthénique !

 

 

La fraîcheur sous la treille, une raison de plus pour rester ici, à l'ombre et au frais. Toutefois, dans une réaction commune et désespérée,nous nous faisons croire qu'il est vraiment l'heure d'y aller : 10 heures.

 

L'Albanie nous attend, elle est toute proche ...

 

Quelques centaines de mètres après notre départ, arrêt au supermarché pour quelques courses. Ensuite, nous suivons une route large, rectiligne et inintéressante. Nous traversons Tuzi et son marché aux puces multicolore. Pas de -s au bout de multicolore : le marché est multicolore, pas les puces ! Encore une fois, il règne ici une atmosphère spéciale, une atmosphère de confins d'Etats. Comme si ces lieux se revendiquaient de nulle part, pas vraiment ici mais pas ailleurs non plus. Une sorte de no man's land habité.

 

De plus, la frontière qui approche n'est, pour nous, pas n'importe laquelle, c'est celle avec l'Albanie, le pays dont on nous a tant parlé. Pour l'heure, en faisant une synthèse rapide, ce pays s'apparente à un amoncellement d'images plus terribles les unes que les autres : des routes qui n'en sont pas, des habitants arriérés, tout juste sortis du Moyen-Âge, des chiens galeux et virulents partout, des hordes de bandits de grand chemin, des tueurs pour qui le kanun est la seule loi qui vaille, …

 

La frontière que nous nous apprêtons à traverser est certes une frontière douanière mais elle est aussi une frontière culturelle, sociétale, économique, politique : une "surfrontière", une "mégafrontière", LA frontière.

 

Déjà en 1913, Gabriel-Louis Jaray disait dans son Albanie inconnue : "Scutari [l'autre nom de Shkodër, la ville où nous dormirons ce soir] est le point ultime de la route des touristes, celui où ils frôlent l’inconnu, les montagnes de l’intérieur, mais pour qui vient de la montagne, Scutari n’est que la porte vers l’Europe ; c’est la cité où l’on trouve des banques, des hôtels, des voitures, et où l’on s’embarque vers le Monténégro et les pays de la chrétienté."

 

 

Afin de s'aérer la tête, nous jetons un dernier regard sur le lac Shkadar (on peut aussi écrire le nom ainsi !) que l'on aperçoit au loin. Frustration de ne pouvoir s'en approcher.

 

Nous sommes toujours au Monténegro mais le revêtement devient déjà épouvantable, nous slalomons entre les trous, les ornières, les saignées, …

 

Nous croisons quelques semi-remorques, un camping-car. Nous ne sommes pas tout-à-fait seul.e.s dans ce lieu de fin du monde. L'arrivée à la douane monténégro-albanaise de Hani i Hotit en devient une délivrance. Quelques camions attendent le passage.

 

Voilà 27 jours que nous voyageons à vélo et nous voici devant le panneau (beau et grand le panneau !) indiquant : "REPUBLIKA E SHQIPËRISË – HANI I HOTIT" juste en-dessous du drapeau albanais : l'aigle noir à deux têtes sur fond rouge.

 

2 Coca-Cola au bar voisin (et toujours ces satanés relents nauséabonds d'alcool fort !) puis passage de la frontière. Un joli tampon de plus sur le passeport !

 

Mauvaise surprise juste après le coup de tampon : il n'y a plus de route ou plutôt, elle est en reconstruction : une large piste blanche recouverte de sable, de poussière, de cailloux plus ou moins gros allant du petit bien pointu à l'énorme dont on se demande ce qu'il fait là.

 

Du vrai VTT quoi ! Deux remarques sur les voitures que nous croisons à présent : un, ce sont toutes des Mercedes et deux, on les croirait sorties d'une traversée de l'Afrique du Nord au Sud tellement elles sont sales. Pas de quoi nous remonter le moral, encore que les premiers kilomètres sur une telle route me procurent un plaisir certain et m'amusent presque. J'en informe Karin … qui me prend pour un masochiste fou. Enfin une route qui change des quelques beaux rubans bien asphaltés que nous avons pu rencontrer jusque là ; de l'aventure cyclopédique à moindre coût. Nous passons devant une vieille maison quasiment en ruine, un homme est assis à sa gauche, à l'ombre d'un arbre, une édifice de trois pneus à ses côtés. Sur le mur nous lisons : "GOMISTERI – KEPUCAR – BICIKLIST".Même si nous ne lisons pas l'albanais, nous comprenons ce que fait cet homme au milieu de nulle part … mais nous ne comprenons pas, la seconde d'après, ce que fait cet homme au milieu de nulle part.

 

Quelques kilomètres plus loin, mon sourire joyeux a instantanément et complètement disparu puisque je me retrouve allongé dans l'eau saumâtre d'une flaque immense accompagné, et c'est encore moins drôle, du contenu de ma sacoche de guidon : appareil photographique, téléphone, passeport, porte-monnaie. Je repêche illico le tout, aidé en cela par l'automobiliste arrivant en sens inverse qui a eu la présence d'esprit de m'éviter et de s'extirper tel l'éclair de son véhicule ! Il me demandera au moins trois-mille fois en italien si tout va bien …

 

Premier village traversé, Bajzë. Un village oublié comme au bout du bout du monde. Toujours … Poursuivre sur une telle route est devenu un calvaire … mais … miracle ! : celle-ci, sans raison, devient un large ruban d'asphalte bien noir et bien lisse.

 

Juste le temps de nous faire "attaquer" par deux gamins que notre arrivée aura fait s'extirper du fossé dans lequel ils jouaient. L'un me vole ma casquette pendant que l'autre rit à gorge déployée … et qu'un adulte l'oblige à me la rendre et nous revoilà sur une piste abominable à parcourir : poussière soulevée par les camions et voitures rencontrées, ornières remplies d'eau (des riverains, afin d'éviter à la poussière de pénétrer chez eux, passent leurs journées à arroser la "route" !), chaleur, estomac retourné, fatigue, …

 

Plus nous approchons de Shkodër plus la route est défoncée et plus ses abords sont jonchés de détritus en tout genre. L'odeur âcre d'ordure brûlée (qui n'est pas sans rappeler celle que l'on pouvait sentir en France aux abords des décharges sauvages à ciel ouvert) nous prend à la gorge. Elle ne nous quittera plus tant que nous serons en Albanie.

 

Enfin l'entrée de Shkodër ! Juste assez de force et de lucidité pour stopper dans les faubourgs de la ville et attendre que la lumière revienne dans … nos cerveaux.

 

 

Dans un état physique et psychologique au bord de la rupture, nous errons à la recherche de … quoi au fait ? Sûrement d'un endroit où s'écrouler, un lit assurément.

 

Un hôtel. Complet. On nous indique un "hostel". Chambre dans laquelle on peut se faire à manger. Parfait. On monte les vélos. Ce qu'il nous fallait. Pouf ! Le trou noir !

 

 

 

Journée à Shkodër (Albanie)

 

 

Nous décidons de ne pas repartir aujourd'hui. Notre état ne nous le permet pas. En repassant le film de la journée précédente, nous nous rendons compte qu'elle fut sans conteste la pire que nous ayons passée à vélo. Tension extrême, vide absolu, corps et esprit laminés.

 

 

Nous nous autorisons une vraie longue nuit de sommeil que seule la chaleur matinale vient perturber. Qu'elle est agréable, dans cette situation, cette sensation de ne rien avoir à faire de la journée !

 

Une telle journée nous ramène immanquablement à considérer notre périple sous un jour pas si positif que cela. En effet, s'accorder un mois et demi de voyage, c'est long mais c'est aussi si court que nous sommes quelquefois obligé.e.s d'avancer, de toujours avancer alors qu'un arrêt plus ou moins long pourrait être salutaire tant pour le physique que pour le mental.

 

Un peu secouépar cette découverte, je n'en avale pas moins mon petit-déjeuner.

 

 

Alors que Karin dort encore, je pars à la découverte de la ville, à la recherche du pouls de la ville. Devant les bureaux de change, un manège attire mon attention. Des hommes comptent et recomptent de volumineuses liasses de billets : du change officieux. Il s'avérera bien plus favorable que l'officiel … sans que cette activité semble illicite tant elle se fait au vu et au su de tout le monde ! Du change officiellement officieux ou officieusement officiel.

 

Au milieu d'un parc, quelques vieux sont attroupés, leur vélo non loin. Ils semblent jouer mais m'envoient de noirs regards lorsque je veux m'approcher. Bizarre !

 

Je m'assois alors en bordure de trottoir, subjugué par la vision de l'activité autour d'un rond-point : des piétons, des vélos, des tricycles à moteur, des voitures, des bus, … Tout le monde y circule en tout sens : certains le parcourt dans le sens des aiguilles d'une montre, d'autres en sens inverse, des véhicules se font face, se klaxonnent et poursuivent leur route par la droite, par la gauche, … L'anarchie fonctionne, je le sais : cela se passe à Shkodër autour d'un rond-point ! (Encore que vous puissiez me rétorquer que l'exemple est très mal choisi puisque, comme l'a si bien dit Elisée Reclus : "l'anarchie est la plus haute expression de l'ordre". Et vous auriez raison !)

 

Je remonte maintenant la rue principale, attiré par les étals multicolores. Bien que le calendrier indique que nous sommes dimanche, tout est ouvert comme en semaine.

 

Les réseaux emberlificotés de câbles électriques et téléphoniques me fascinent. Pas de doute, vraiment : l'anarchie fonctionne ! Les façades des maisons osent les couleurs les plus criardes et égaient ce paysage urbain qui aurait pu être bien terne …

 

Un homme coud dans son petit atelier, une femme torréfie le café dans sa minuscule échoppe. Je tombe sur l'"office du tourisme" dans lequel j'achète une carte bien imprécise du pays. Par certains côtés, elle me rappelle celle du Village du Prisonnier : les montagnes écrit sur les montagnes, la rivière écrit le long de la rivière, le village écrit à l'emplacement du village ...

 

 

L'après-midi, nous décidons de monter jusqu'à la citadelle qui, évidemment, domine la ville. Nous y croisons un couple de mariés en train de poser à quelques mètres d'une vieille dame installée là dans l'espoir de quelques pièces. Décalage.

 

Nous rencontrons également un couple de jeunes Polonais voyageant à vélo. Parti.e.s de Sofia, ils filent à Dubrovnik. Nous glanons quelques informations sur la route à venir.

 

Nous les laissons repartir et poursuivons notre observation intriguéedu monde environnant. Au Sud-Est, la verte vallée du Drim, au Nord-Ouest une des extrémités du lac de Skhodër, et au Nord-Est, le massif montagneux couvrant tout le nord de l'Albanie. A nos pieds, la ville de Shkodër s'étire, alanguie et endormie en ce début d'après-midi.

 

Nous redescendons alors, et passons à proximité de ce qui semble constituer la principale activité professionnelle des Albanais : "Lavazh", c'est-à-dire le lavage de voitures. On en voit partout : dans le centre des villes, dans les villages, au milieu de nulle part. L'établissement respecte une architecture et une organisation immuables : une sorte de garage en tôle tavelée, un nettoyeur haute-pression, des éponges et … "lavazh" écrit en gros.

 

Constat numéro 1 : les Albanais (nous n'avons pas vu beaucoup de femmes au volant) paraissent ne pas supporter de posséder une voiture sale.

 

Constat numéro 2 : les routes sont généralement dans un état déplorable (même si cela semble s'améliorer très vite).

 

Constat numéro 1 et constat numéro 2 donnent un besoin impérieux de laver son véhicule.

 

Même dans un état d'usure largement avancé (ah ! la longévité d'une Mercedes), nous percevons la voiture comme la fierté albanaise, moyen de prouver que l'on est quelqu'un, image transposée de l'Ouest et adaptée aux réalités du pays.

 

 

Plus loin, nous croisons la statue de Mère Teresa, l'Albanaise mondialement connue. Nous déambulons dans la seule rue piétonne de la ville qui, avec ses nombreux bars branchés, cherche à imitercette pseudo-modernité que l'on connaît si bien et qui aseptise et rétrécit nos vies.

 

Comment dès lors imaginer que, dans cette ville, vivent recluses près de six cents familles ? Le kanun, tout en faisant des ravages, reçoit l'acceptation d'une bonne partie de la population comme seule loi à respecter. La loi clanique plus forte que les lois de l'Etat.

 

Si un membre d'une de ces familles décide de sortir de la maison, il sait qu'il fera l'objet d'une "reprise de sang" : une implacable vengeance mortelle en réponse à un crime précédent.

 

Il faut lire Avril brisé d'Ismael Kadaré pour bien s'imprégner de cette réalité que l'on croirait venue d'un autre siècle. (Le film éponyme tiré du livre, malgré le transfert de l'histoire au Brésil – quelle idée ??!!! – vaut également que l'on s'y attarde.)

 

Quelques courses dans ce que nous appelons ici une superette. Celle-ci ne propose quasiment que des produits … italiens ! Bonjour le dépaysement ! Mais nous n'oublions pas que l'Albanie fut une colonie italienne et que les liens restent forts entre les deux pays.

 

Il est maintenant temps de rentrer afin de ranger notre maison dans les sacoches : demain, nous repartons. Vers de nouveaux horizons. Vers de nouveaux émerveillements, vers de nouvelles rencontres, vers de nouveaux nous-mêmes … peut-être. A petite vitesse.

 

 

 

Shkodër (Albanie) – Ulëz (Albanie)

 

 

Nuit difficile pour nous deux : due à cette chaleur et cet état nauséeux qui ne veulent plus nous quitter. Nos compagnons de voyage ou comment apprécier tout en subissant !

 

Direction plein sud ce matin.

 

Ruban agréablement asphalté de neuf, circulation quasiment inexistante, seuls les gigantesques panneaux publicitaires viennent assombrir cette matinée idyllique : Vodafone, Coca-Cola, … nous accompagnent.

 

Un étal le long de la route. Deux drapeaux, l'un bosniaque l'autre albanais, flottent au vent en nous prouvant que nous l'avons dans le dos. L'étal est désert, seuls pourrissent au soleil quelques restes de pastèques etdivers fruits méconnaissables. En arrière-plan, le squelette d'un immeuble de 3 étages. Le linge sèche au deuxième. La vie au grand air.

 

Arrêt un peu plus loin en bord de route. De la musique folklorique nous chatouille les tympans. Nous comprenons qu'une fête de mariage bat son plein dans une propriété non loin de là.

 

Nous sommes pourtant lundi. Notre expérience albanaise nous prouvera par la suite que DEUX activités rythment les journées (estivales) du pays : les mariages donc, partout et tout le temps, et … le lavage des voitures dont j'ai déjà parlé. Un homme et son petit garçon approchent. La conversation s'engage en italien avec les questions rituelles. Il nous propose ensuite à boire. Il s'éloigne pendant que le cortège nuptial passe devant nous. Nous voici maintenant à Lezhë. Arrêt en ville où la circulation automobile, anarchique et grouillante à souhait, nous agresse quelque peu. Quelques courses pour le repas de midi, la demande concernant la route à suivre et hop !, du calme.

 

C'est dans cette ville, dans la citadelle la surplombant plus précisément, qu'est enterré Skanderbeg, le héros national, celui qui a défendu le pays contre les Ottomans. Sa statue équestre trône d'ailleurs, majestueuse, sur la place centrale de Tirana.

 

 

La route retrouve alors les standards albanais, à notre grand regret ! : les tressaillements de nos bicyclettes et les zigzags afin d'éviter les trous, les tranchées, les ravines, … n'améliorent pas la perception que nous avons de nos états nauséeux, bien au contraire !

 

Tiens, un voyageur à vélo qui vient à notre rencontre.

 

Chemise ouverte, un immense chapeau de paille sur la tête, des rangers aux pieds, un gant d'hiver noir à la main droite et, protégeant l'autre main, un gant jaune (de ceux que l'on utilise pour la vaisselle) dont notre voyageur aura découpé les extrémités des doigts ! Ses bagages sont si légers et si peu adaptés (sacs en toile, en tissu, …) que nous l'imaginons être parti hier de la ville d'à-côté. Mutuellement heureux de cette rencontre, nous stoppons en bord de route.

 

Il nous apprend qu'il est Etats-Unien originaire de Seattle, qu'il vivait en Chine, pays qu'il a quitté un an et demi plus tôt pour rallier Udine où l'attend un bateau qui le ramènera aux States.

 

Whaou !!! Après avoir discuté avec lui, nous regardons nos sacoches et faisons le constat, définitivement amèr.e.s, que nous transportons beaucoup plus qu'il serait nécessaire !

 

Quelques minutes plus tard, nous voilà installé.e.s en plein centre de Milot pour la pause méridienne. Nous sommes évidemment et comme toujours l'attraction des jeunes et des moins jeunes du village. En fait, nous voyons peu de filles dans les rues et ce sont surtout de jeunes garçons qui, systématiquement, cherchent à entrer en contact avec nous. Ce qui étonne aussi, pour nous occidentaux "bien élevé.e.s", c'est leur capacité à maintenir le regard, sans ciller, droit dans les yeux, pendant de très, très longues secondes. Comme s'ils cherchaient, impression qui nous est quelquefois désagréable, à connaître ce qui encombre le plus profond de nos âmes ou ce que nous avons dans le ventre.

 

Suite du voyage. Pendant un court instant, nous suivons la route principale, celle qui mène à Rubik et Kukës. Tiens, je me rappelle de … quelqu'un dont j'ai oublié jusqu'au nom qui m'avait raconté la mésaventure de deux ami.e.s voyageurs à vélo qui s'étaient fait détrousser lors de leur arrivée dans cette dernière ville ! Sardonique, cette personne avait rajouté que les habitants, peu habitués à ce genre de rencontres, n'avaient su comment réagir et avaient donc tout bonnement suivi leur instinct ...

 

Notre route bifurque à droite avant Kukës (ouf !), en direction de Burrel. Elle se fait caniculairement bucolique, serpentant entre la falaise à gauche et la rivière vert émeraude qui coule à droite un peu en contre-bas. Nos estomacs barbouillés nous invitent (voire plus) à stopper dans un café le long de la route. Tapi.e.s à l'ombre étouffante d'un parasol, au pied d'un lac de barrage, nous sirotons un énième Coca-Cola.

 

La fin de la journée vélocipédique approche. Une rapide étude de la carte nous fait jeter notre dévolu sur les berges d'un autre lac, immense celui-là, non loi de là. A nous une bonne baignade !!!

 

Encore quelques kilomètres et nous bifurquons, à gauche cette fois-ci, pour emprunter la route en cul-de-sac qui relie Ulëz à la civilisation !

 

Légère descente pour atteindre le pied d'un barrage et un dernier kilomètre bien pentu pour dépasser le niveau du lac. Quelques vaches maigrichonnes errent ça et là, point d'humains en vue.

 

Arrivée au village. Zut et re-zut !!! Période de sécheresse aidant (l'été, quoi !), le niveau du lac est au moins cinquante mètres plus bas que là où nous sommes. Adieu baignade ! Le village est minuscule et il n'y a pas âme qui vive. Soit ce village est mort, soit l'heure de la sieste est à rallonge ! On s'assoit sur la mini-place centrale : nous ne sommes plus en état de réfléchir (rester là ?, repartir ?, où dormir ?, où acheter à manger ? …). Nous sommes au bout, au bout du monde, au bout de nous.

 

Ce lac, le liqeni i Ulzës, est pour nous ce que le bassin du chantier naval de Saint-Nazaire est pour Les cinq nazes de l'excellent roman éponyme de Jean-Bernard Pouy. Resterait plus qu'à jeter toutes nos affaires à l'eau et les y rejoindre !!

 

Regards à droite, à gauche, à droite, encore à gauche … Et nous voyons déboucher d'une ruelle – mirage ?, vision hallucinatoire ? …– un homme s'approchant de nous d'un pas décidé.

 

Arrivé à notre hauteur, il engage la conversation en … français !!! Pas de doute, nous sommes bien victimes d'une hallucination … auditive cette fois-ci. Nous nous pinçons mutuellement et force est de constater que l'individu qui nous fait face, ici, au bout de nulle part, nous parle en français.

 

Illi est albanais (qui d'autre pourrait vivre ici ?) mais a vécu plusieurs années en Belgique.

 

Et c'est parti pour environ quatre heures de discussion (par moment, cela ressemblera plutôt à une conférence, lui le maître, nous les élèves attentif.ve.s et studieux.se.s) sur sa propre vie, celle de son frère, son village, l'Albanie, …

 

Tour à tour ange gardien, conférencier, interprète, historien, comédien, nous passerons toute la soirée avec lui. Une soirée mémorable !

 

Illi nous abreuve d'informations en tout genre … Sur son frère qui a fui le pays après avoir volé le passeport d'un touriste allemand, qui a ensuite émigré aux Etats-Unis, qui est devenu un éminent chercheur en télécommunications (à telle enseigne que les Américains utilisent son nom pour désigner un téléphone portable -????-), qui deviendrait aisément président de la République s'il revenait au pays, …

 

Le quotidien sous le règne d'Enver Hoxja nous est dépeint avec des traits allant du gris foncé au noir. Rien à garder, tout à jeter.

 

Rien à voir avec ce que nous ont raconté les différents interlocuteurs "ex-yougoslaves" que nous avions interrogés à ce sujet, soit lors de ce voyage soit lors du précédent, en traversant la Serbie. D'après beaucoup d'entre eux (les plus anciens en tout cas), la pauvreté semblait moins prégnante sous le régime titiste et l'autogestion régnant dans les entreprises permettait d'oublier un peu le manque de liberté individuelle. En tout cas, la situation paraissait moins désespérée qu'elle ne semble aujourd'hui.

 

 

Nous proposons d'aller boire un verre au café du coin. Trois jeunes du village viennent prendre part à la conversation. Illi traduit. Après les photos rituelles, photos qui amusent tout le monde, l'un des jeunes tient absolument à offrir un cadeau à Karin : ce sera, quelle chance, un porte-clef rouge orné de l'aigle à deux têtes, symbole du pays.

 

Illi nous trouve un endroit où poser la tente. En bord de lac mais cinquante mètres au-dessus de son niveau actuel, face aux monts Dejë et au pied d'un enclos à moutons. Ces derniers, nous les verrons revenir seuls à la tombée du jour et repartir, tout aussi seuls, au lever du jour suivant. Un exemple parfait de troupeau autogéré !!!

 

Illi est encore là pour nous parler de ce groupe de randonneurs à pied tchèques, partis à l'assaut des montagnes de l'autre côté du lac malgré ses mises en garde. Les loups et les ours veillent !

 

Le soleil déclinant nous prévient qu'il est tard (même si nous sommes très à l'Est et que, par conséquent, le soleil se couche beaucoup plus tôt qu'en France par exemple). Il est temps pour Illi de nous laisser, pour Karin d'aller se baigner (quand même !) et pour moi d'espérer une nuit paisible malgré un estomac toujours récalcitrant.

 

Les aboiements incessants des chiens du village et les sorties intempestives pour éliminer ce qui doit l'être feront que cette nuit ne restera pas dans les annales des nuits les plus agréables.

 

Je me lève avant le soleil et profite du spectacle toujours recommencé mais toujours magique de son lever. Tel un premier matin du monde. S'émerveiller de l'habituel plutôt que s'habituer au merveilleux.

 

 

 

Ulëz (Albanie) – Bulqizë (Albanie)

 

 

Dire que nous sommes en Albanie, au milieu de nulle part, loin de tout … !! Le voyage devient plus chaotique : nous devons prendre le bateau du retour dans une semaine exactement et, d'ici là, tous les possibles s'offrent à nous : la Macédoine ?, le Kosovo ?, le Sud de l'Albanie ? Finalement, le voyage va se construire au fil des kilomètres, nous décidons en même temps que nous roulons.

 

Il est d'ailleurs temps de rouler. Passage rapide dans la "super-mini-superette" d'Ulëz (tenue par une étudiante revenue de Tirana, vacances estivales obligent) et nous voilà parti.e.s en direction de Burrel.

 

Cette ville est surtout connue pour la terrible prison dans laquelle de nombreux opposants au régime communiste croupirent des décennies durant.

 

 

La route entre Ulëz et Burrel, vallonnée et en piteux état, nous fait souffrir de bon matin, d'autant qu'une chaleur déjà accablante nous colle littéralement au goudron fondu. En contrepartie, nous profitons de vues magnifiques sur les montagnes environnantes et nous nous amusons à repérer les personnes, jeunes, vieux, hommes, femmes qui errent dans ces montagnes : unetelle, toute de noir et de blanc vêtue, pantalon et chemise noirs, tablier et fichu blancs, garde sa vache et sa chèvre, untel descend un raide chemin juché sur un âne si mal adapté à cette tâche que les pieds de l'homme traînent par terre, … Ces montagnes que l'on croirait vides sont finalement si peuplées !

 

A tout moment, des "fourgons" nous croisent ou nous doublent. Taxis collectifs qui relient tous les villages, toutes les villes plus ou moins grandes les uns aux autres. Enfin l'entrée de Burrel. Nous stoppons à l'ombre de peupliers. Deux femmes toutes de noir vêtues approchent en marchant d'un bon pas. Vingt kilomètres au compteur environ et nous sommes fatigué.e.s comme si nous en avions parcouru le triple ! Arrêt au café … évidemment ! J'apprendrai plus tard que la statue monumentale trônant sur la place centrale est celle de l'enfant du pays, Ahmet Zogu, "connu" sous le nom de Zog Ier, roi d'Albanie ayant régné de 1928 à 1939. Le contre-jour ne m'avait pas permis de lire l'inscription de la plaque fixée à son pied et la fatigue ne m'avait pas donné envie de m'en approcher.

 

 

Le café avalé, les toilettes visitées, nous enfourchons de nouveau nos bicyclettes pour nous lancer (très prudemment) dans la descente mal (ou pas) goudronnée qui nous ramène le long des berges de la Mati, rivière qui alimente le lac d'Ulëz que nous avons laissé ce matin.

 

Remontée tranquille dans la vallée jusqu'à Klos. Seuls les vendeurs de maïs grillé viennent égayer cette portion de route. Mais pourquoi s'installer ici, au bord de cette route qu'aucune voiture n'emprunte ? Deux enfants sur d'antiques objets à deux roues (tant on aurait du mal à les nommer "vélos") s'amusent à faire la course avec nous. Je les encourage par des "allez, allez !" qu'ils répètent tout de go, hilares.

 

Entrée dans Klos. Le pied des montagnes, la fin de la vallée. Assis sur le trottoir devant l'épicerie du village, nous commençons à sortir le pique-nique. La fille des gérants, onze ans (elle nous le dira plus tard), nous rejoint sur le trottoir et essaie d'engager la conversation en utilisant tout le vocabulaire anglais dont elle dispose. Cela me permet de constater que les contenus enseignés sont les mêmes en France et en Albanie. Uniformisation du monde … : what's your name ? Where do you live ? How old are you ? How much is your bike ? …

 

On passe un agréable moment avec elle. D'autres personnes viennent discuter, un père et son fils nous offrent le café, la conversation se faisant en italien cette fois-ci. Ils nous répéterons au moins dix fois que la côte à venir est bien rude.

 

De toute façon, nous avons prévu de rouler jusqu'à Bulqizë, nous roulerons jusqu'à Bulqizë …

 

Deuxième mise en garde : "ne buvez surtout pas l'eau du robinet là-bas !"

 

Incrédules, nous avons du mal à comprendre puisque, sur la carte, Bulqizë semble être une petite ville lovée au milieu des montagnes.

 

On verra bien.

 

Après avoir vu passer quelques convois militaires, nous attaquons les premières rampes sous un ciel de plus en plus chargé que vient alourdir encore une chaleur suffocante. Notre premier col albanais : le Qafa e Buallit, 844 mètres d'altitude.

 

Pas d'âme qui vive dans ces montagnes maintenant … si ce n'est qu'un groupe de fillettes qui sortent d'une maison à notre approche. Elles sont petites, toutes petites et nous inondent de "hello, hello, hello", puis de "good bye, good bye, good bye". Moment aussi improbable qu'émouvant. En parlent-elles encore aujourd'hui, de ces deux voyageurs lourdement chargés passés devant chez elles à vélo ? En tout cas, elles sont restées dans nos mémoires !

 

De grosses gouttes commencent à arroser le goudron surchauffé libérant cette odeur caractéristique et entêtante, des bourrasques font se lever le sable et la poussière en des vortex erratiques ; il est temps de trouver un abri. Chanceux, nous fondons sur un café planté là, au milieu de nulle part, pour notre plus grand bonheur.

 

La salle est immense et quasiment déserte. Seuls deux hommes sirotent une boisson indéfinissable. Ils tiennent absolument à nous offrir à boire. Après l'anglais, l'italien, nous nous contenterons de l'albanais cette fois-ci, autant dire que la conversation se limita … aux formules de politesse !

 

L'orage passé (beaucoup de bruit pour pas grand chose en fait), nous nous levons mais l'un des deux hommes ne veut pas en rester là : il tient ABSOLUMENT à nous offrir quelque chose. Il fouille ses poches : rien ! Quel malheur ! Heureusement, après bien des contorsions, il sortira un vieux paquet de chewing-gums entamé et c'est avec 3 chewing-gums albanais en plus que nous nous dirigeons vers la sortie.

 

Nous demandons au garçon de café si Bulqizë est encore loin car nous en avons un peu ras la casquette. Rassuré.e.s, nous apprenons que le reste de la montée vers le sommet du col est … plat (!!) et que la ville est à 3 kilomètres.

 

La chute de la température est si vertigineuse que, pour la première fois depuis … avant Mostar, nous avons froid. 200 mètres de dénivelé plus haut et 9 kilomètres plus loin, voici le sommet du col. On l'aurait étranglé, le serveur ! Karin n'est pas au mieux lors de la montée, je m'approche, elle me dit de la laisser, elle essaie de faire passer ce mauvais moment en réfléchissant à d'autres choses. Bizarre ! Moi, dans cette situation, j'aurais plutôt tendance à vouloir faire le vide complet, comme si je me débranchais le cerveau.

 

 

Nous sommes au sommet du col, heureux ! La lumière post-orage baigne les montagnes alentour dans des reflets irisés rehaussés par les teintes multicolores de quelques bâtiments qui n'auraient rien à envier aux maisons traditionnelles des campagnes alsaciennes, les colombages et les cigognes en moins.

 

Toutefois, nous comprenons maintenant l'avertissement concernant l'eau du robinet. La charmante petite ville au milieu des montagnes est bien au milieu des montagnes, mais elle n'est pas charmante du tout : c'est une ville minière ! Grise, sinistre et glauque !

 

On extrait du chrome de ces montagnes : c'est même la plus grande réserve de toute l'Albanie et l'une des plus importantes d'Europe.

 

On fait un rapide tour de la ville. Ce n'est plus de la curiosité que nous lisons dans le regard des gens à notre égard, c'est de la perplexité,de la consternation : "mais que venez-vous donc faire ici ?" On se pose un peu la même question d'ailleurs …

 

Comme l'heure avance, il nous faut trouver une solution pour la nuit. Tactique toujours payante : se poster à un endroit passant de la ville et … attendre ! Jamais longtemps … Cette fois-ci, c'est un Suédois originaire de cette ville qui a bien l'intention de nous aider. Il en profite pour nous expliquer la gêne qu'il éprouve chaque été lorsqu'il revient ici, puisqu'il doit considérer ce coin d'Albanie comme sa terre natale. Ça doit effectivement le changer de la Suède ! Cette gêne semble même décupler lorsqu'il s'agit, comme maintenant, de présenter la ville à des étrangers. Un déraciné ...

 

Même s'il n'y a aucune enseigne d'hôtels nulle part, il nous apprend que chaque café possède des chambres à louer.

 

Première tentative … infructueuse : tout est réservé pour un mariage.

 

La deuxième est la bonne et nous voilà qui installons les vélos dans le couloir et investissons la pièce très propre qui nous accueillera cette nuit. Après la douche (whaou ! Il y a même de l'eau … chaude en plus ! On nous a tant prévenu.e.s des coupures intempestives d'eau et d'électricité que tout ce qui fonctionne normalement nous paraît … une aubaine !), je pars acheter du pain et … des bouteilles d'eau.

 

Au pied des immeubles aux peintures défraîchies et aux murs craquelés, des montagnes de bois de chauffage sont là pour rappeler que l'hiver doit être bien rude. Cette ville me fascine, je ne sais où porter le regard. Il faut toutefois rentrer à l'hôtel, Karin m'attend pour le dîner.

 

Repas frugal assis sur nos lits respectifs, nos regards figés sur des immeubles dont on ne sait s'ils sont en ruine ou en construction, des terrains vagues, très vagues où des grappes de jeunes s'agitent en tout sens autour d'un ballon avec, comme toile de fond, des montagnes grises qui finissent d'assombrir le tableau.

 

A bien y réfléchir, nous aurons vécu une journée de celles que l'on n'oublie pas : riche en images contrastées : si pittoresques, bucoliques et rustiques ce matin, si sinistres et même déprimantes ce soir. Entre les deux, des cafés turcs avalés, des rencontres, des mots échangés et de la compréhension au-delà de la langue, de la fatigue aussi, beaucoup de fatigue.

 

 

 

Bulqizë (Albanie) – Struga / Струга (Macédoine - Македонија)

 

 

Réveil matinal afin de profiter de quelques heures à l'ambiance limpide et fraîche. Contrairement à hier soir, la vision de la ville me plaît beaucoup ce matin : elle oscille entre effervescence tranquille et agitation placide. Des camions d'un autre âge disputent la route aux charrettes et aux Mercedes 240D. La rue s'anime doucement, les rares commerces ouvrent.

 

 

Dans la douceur matinale due à l'altitude, les premiers kilomètres sur une route large et parfaitement goudronnée sont un déliceeuphorisant ! Le matin du renouveau peut-être, la pluie d'hier ayant peut-être fait disparaître ce qui nous pesait.

 

Dernier coup d’œil derrière nous sur cette vallée aussi fascinante que repoussante … fascinante parce que repoussante !

 

Nous approchons bien vite de Shupenzë où la route commence à remonter à flanc de vallée. Puis, le serpent bitumineux se fait de nouveau plus chaotique. Nous jetons un regard mi-amusé mi-interrogateur sur les parapets longeant la route : de magnifiques demi-cercles blancs en béton. Nous n'osons imaginer l'état de la voiture qui, ayant échappé à une chute au fond du ravin, s'y encastrerait !

 

Juste avant Maqellarë, la chaîne du vélo de Karin déraille lors d'un changement de vitesse. Nous devenons (encore) l'attraction d'une famille dont tous les membres, de la grand-mère au petit-fils, viendront se masser au bord de la route, les premiers allant vite prévenir les suivants que quelque chose d'extraordinaire vient de se produire devant chez eux.

 

Bien que certains membres de la famille veuillent absolument nous aider, nous nous tirons seul.e.s de ce mauvais pas.

 

Arrivée à Maqellarë. Karin s'arrête au premier bistrot sur le bord de la route. Je monte au village faire quelques courses pendant qu'une limousine à la longueur démesurée descend de celui-ci pour faire parader un couple de jeunes mariés, bannière albanaise au vent.

 

Du pain, des légumes, des fruits achetés dans la remorque d'un … motoculteur ! Et on repart. Je prends une école albanaise en photo. Au premier plan rouillent paisiblement les jeux de la cour. Et dire que l'Education Nationale veille farouchement et pointilleusement au bon respect de règles de sécurité.

 

Voici maintenant la douane permettant l'accès à la Macédoine. Nous retrouvons l'alphabet cyrillique et entrons dans Debar (Дебaр). Au bord de la route, trône un panneau annonçant un hôtel : un lit sur fond bleu que des esprits malins auront fait tourner à 90° … de sorte que l'hôtel doit être à dormir debout !

 

Nous demandons notre route qui suit maintenant le Debarsko jezero (le lac de Debar tout simplement) en suivant consciencieusement toutes les déclivités du terrain … Autant dire que ça monte et que ça descend beaucoup. Arrêt dans un champ en bord de route pour pique-niquer. On s'amuse (au début tout du moins) à compter les automobilistes qui klaxonnent en nous faisant signe.

 

La suite du trajet longe un deuxième lac, le Globocica jezero alors que le tonnerre gronde. A notre droite, la chaîne de montagnes de Jablanica faisant frontière avec l'Albanie, à notre gauche, celle du Karaorman. Et au milieu coule le Crn Drim (ou Drim noir), dans lequel des anguilles se frayent un chemin en direction de la mer des Sargasses. Une longue route également … mais plus utilitaire que la nôtre.

 

Nous voici enfin à Struga (Струга), station balnéaire célèbre pour ses plages le long du lac d'Ohrid et pour son festival de poésie.

 

Nous sommes ici à l'extrême sud-ouest de la Macédoine, dans une ville où vit … une majorité d'Albanais. On accoste quelques passants et nous essayons de nous faire comprendre dans notre recherche de lieu où poser la tente. Rien n'est vraiment clair pour l'instant mais nous nous inquiéterons plus tard !

 

Ensuite, j'entre dans une banque histoire de changer quelques Leke albanais en Denar macédoniens. L'employé me rit quasiment au nez en me faisant comprendre implicitement que personne en ville ne voudra de ma monnaie d'un pays "sous-développé" !

 

Bredouille, je retrouve Karin et on s'assoit à l'ombre, presque au bord du lac, observatoire idéal de ces tranches de vie qui colorent un quotidien. Un vieux monsieur tient un minuscule étal sur lequel quelques bonbons, fruits secs et graines attendent l'acheteur. Les graines de tournesol, contre l'équivalent de quelques centimes, passent de la main calleuse du vieil homme à celle, excitée et impatiente d'un enfant attiré par les odeurs et les couleurs. Le cornet est rempli à l'aide d'un verre. Je m'amuse à décrypter son petit manège : un garçon pas sympa, deux doigts dans le verre, autant de graines qu'il n'aura pas. Une gentille petite fille intimidée et polie, aucun doigt dans le verre et celui-ci plein à ras bord. (Notez bien que pour éviter des remarques sexistes, j'aurais pu choisir une fillette pas sympa et un gentil garçonnet intimidé et poli.)

 

 

Struga (Струга) – Macédoine. Cette station balnéaire ne reflète a priori pas vraiment la situation tendue que connaît ce pays : tension exacerbée entre les différentes communautés (Albanais, Macédoniens, Bulgares, Serbes, …), tension avec le voisin grec pour qui il n'existe qu'une seule Macédoine, la région de Grèce portant ce nom évidemment.

 

Ici, tout semble à l'image de n'importe quelle ville en bord de mer ou de lac, à l'image de Brighton, Lugano, Riva di Garda, La Seyne-sur-Mer, … Les touristes déambulent, les crocodiles gonflables ornent les boutiques, les baigneurs se baignent, …

 

Nous quittons la ville pour installer la tente le long du lac. Le micro-camping est tenu par des Anglais. Nous y serons seul.e.s ce soir. Les informations télévisées (en albanais) m'apprennent que les mineurs sont en grève à Bulqizë à cause de leurs conditions de travail. Un seul monde, un seul prolétariat.

 

Intéressant de noter que cette information n'aurait eu aucun impact sur moi si nous n'étions pas resté.e.s dans cette ville. Notre monde s'élargit, tant mieux.

 

Baignade dans le lac d'Ohrid, accompagné.e.s par quelques spécimens des célèbres truites le peuplant. A la nuit tombée, Karin aura encore le courage, après la centaine de kilomètres de la journée, de reprendre le vélo histoire de déambuler en ville. A ses dires, beaucoup de touristes locaux, des bars, des bars et encore des bars. C'est tout. Le retour lui permettra encore une fois de vérifier l'efficacité du Dazzer repousse-chiens agressifs.

 

Demain, nous repassons en Albanie … qui nous manque déjà ! Trop "propre" ici !