Struga / Струга (Macédoine - Македонија) – Elbasan (Albanie)

 

 

 

Réveil à 6h15 ce matin. L'entrée (et donc la sortie !) de la tente donne directement sur le lac et les montagnes de la rive Est, celles au pied desquelles se niche la ville d'Ohrid.

 

Petit-déjeuner près de canards à qui nous faisons profiter de quelques miettes, pas trop quand même.

 

On se perd en essayant de retrouver la route principale. Karin demande et le tour est joué. Une montée tranquille nous rapproche inexorablement de la frontière. Pas si tranquille que cela finalement cette montée : un panneau annonce une pente à 10%. Ce pourcentage à deux chiffres nous affecte psychologiquement d'autant plus que la route est en ligne droite pendant 2500 mètres. Rajoutons-y la chaleur matinale de cette journée qui s'annonce torride... Aussi est-ce avec un soulagement définitif que nous atteignons le sommet du Qaf'e Thanës, situé à 933 mètres d'altitude. Nous franchissons sans encombre la frontière. L’Albanie de nouveau. La Macédoine n'aura été qu'une parenthèse qui, faute de temps, ne se sera pas ouverte suffisamment : quand je les avais rencontrées en France par deux fois, les membres du groupe pop punk Bernays Propaganda m'avaient proposé de passer par Skopje où ils habitent. Ce sera pour une autre fois.

 

Nous traversons la voie ferrée qui relie Durrës à Pogradec, la plus longue du pays, et rejoignons la route qui mène de Tirana à Korçë. A notre gauche, le regard se perd en contrebas vers le lac Ohrid ; à droite, entre les monts Shebenik et Derven, la route dévale la montagne en larges lacets vers la vallée du Lumi i Shkumbilit. La montagne est truffée de bunkers à cet endroit (comme partout ailleurs d'ailleurs), résultat de la psychose nationaliste et du délire de persécution d'Enver Hoxha. Un vieil homme nous fait signe : il garde ses deux vaches ici, au milieu de nulle part, dans un champ si sec que les quelques gerbes d'épis de blé semblaient sur le point de prendre feu.

 

Un jeune couple s'affaire dans un bar-restaurant. Il nous apprennent qu'ils sont en train de le remettre en état et que, donc, il n'est pas ouvert mais que, comme on a des bonnes têtes (c'est ce qu'on suppose !), ils peuvent bien nous préparer un café, mais turc le café, ok ? Super !!!

 

Nous le savourons autant que l'instant présent.

 

Descente impressionnante jusqu'à Përrenjas. La route est large, très large, la pente est forte, très forte et nous croisons d'antiques camions, enveloppés d'un noir nuage, essayant tant bien que mal d'atteindre le sommet. Plus bas, le long de la route, des jeunes armés de tuyaux d'arrosage s'amusent à arroser n'importe quoi ou qui, les camions, les autos, nous, … En sortie de ville, une immense usine (cimenterie ?) trône, jaune orangée sur fond azur, non loin d'une station-service désaffectée. Paysage à la "Mad Max". La route devrait maintenant descendre régulièrement jusqu'à Elbasan, étape du jour.

 

Pas tout à fait … Comme les Ponts et Chaussées locaux devaient avoir un stock de panneaux "Pente à 7%" à écouler, ils ont construit une route qui permettait de les utiliser ! De - trop courtes - descentes à 7% et de – déprimantes - montées à 7%. Nous croisons l'antique train reliant Durrës à Pogradec. Environ 200 kilomètres et 7 heures de voyage. L'aventure aussi. Nous arrivons enfin à Librazhd. J'aurais plutôt dû écrire : j'arrive à Librazhd.

 

En effet, j'avais laissé Karin partir devant, croyant la rattraper avant l'entrée en ville où nous avions décidé de stopper pour déjeuner. Et me voilà seul. Aucune trace de Karin. Je continue un peu, un cortège de mariage sort d'une maison, je demande s'ils ont vu passer une voyageuse à vélo. Réponse négative. Je tourne en ville. Personne à vélo. Je commence vraiment à m'inquiéter. Nous n'avons aucun moyen de nous contacter. Le stress. Le cerveau tourne à plein régime, mélangeant les causes possibles et les bonnes décisions à prendre. Je me poste à l'entrée de la ville et attends, de plus en plus stressé. Au bout d'un quart d'heure environ, je suis accosté par un jeune à moto. Il m'apprend que si je recherche une fille à vélo, elle s'est enfoncée en ville il y a une dizaine de minutes. Ouf ! Je retourne au centre-ville et nous nous tombons dessus rapidement, soulagé.e.s mais circonspect.e.s sur les raisons de cette disparition mutuelle.

 

Après le soulagement des retrouvailles, Karin m'apprend que, loin devant moi, elle s'était arrêtée de l'autre côté de la route pour discuter avec un voyageur serbe en route pour le Mont Olympe. Passé près d'eux sans les voir, j'ai continué ma route alors que Karin, derrière, essayait vainement de me rattraper en s'essoufflant à hurler mon prénom. La pensant devant, elle était derrière. Me sachant devant, elle criait mon prénom sans que je puisse l'entendre. Quelle frousse !

 

Nous réfléchissons quelques secondes à la bonne décision à prendre si cela se reproduit. Nous n'en trouvons aucune.

 

Si nous avions lu avant le jubilatoire roman Good bye Berlin de Wolfgang Herrndorf, nous aurions choisi, comme les deux jeunes héros, de nous attendre dans le dernier endroit où nous avions été ensemble. Simple, non ?

 

Un parc à l'ombre accueille notre pique-nique. Il fait si chaud qu'une employée communale arrose les allées. Un café plus tard, nous sommes accosté.e.s par un jeune qui veut échanger quelques mots. Il est Etats-Unien et travaille en Albanie dans un projet d'aide au développement. Son discours teinté de condescendance sur l'état de l'Albanie nous insupporte à la longue.

 

Nous repartons avec l'impression de nous jeter dans un four béant tellement il fait chaud.

 

La vallée qui a bien du mal à s'élargir n'arrange rien à la sensation de chaleur. Un vent de face sournois vient compliquer encore la tâche, augmentant la température de quelques degrés encore. C'est bon, n'en jetez plus !

 

Tout cela me rappelle une étape entre Santa Maria Maggiore en Italie et Sion en Suisse lors d'un voyage entre Bruneck et le Jura. Après l'ascension du Simplon et la descente sur Brig, j'avais subi un terrible vent de face dans la vallée du Rhône, comme il en souffle tous les après-midis d'été, un vent tel que j'avais atteint le terme de l'étape dans un état proche de la liquéfaction.

 

Je sens cet état venir mais bientôt s'annoncent les faubourgs salvateurs d'Elbasan. Cette ville est connue pour son château construit au XVe siècle sur l'ordre du sultan Mehmet II mais aussi (et surtout) pour son immense complexe métallurgique dont les polluants dangereux ont rendu impropres à toute culture beaucoup de terres de cette vallée jusque-là prospère. Autant dire que c'est l'endroit de villégiature rêvé !!!

 

On fait un tour en ville (et nous nous perdons de vue à nouveau !) à la rencontre d'une âme charitable pour l'hébergement du soir. Les premiers contacts sont bien froids. Cela change des campagnes albanaises. Un couple s'approche. Ce sont des Italiens qui vivent là. Lui travaille dans cette ville pendant qu'elle … s'ennuie ! Ils sont accompagné.e.s d'un ami albanais. Trop fatigué.e.s pour dire quoi que ce soit nous nous laissons proposer un hôtel très quelconque au milieu d'un parc, du parc de la ville. Les Italiens nous apprennent que les mœurs policières ici sont bien particulières … pour qui n'est pas cyclo-voyageur : les contrôles routiers sont incessants et, pour s'en sortir à bon compte, même en étant albanais, il vaut mieux payer ce que demande le policier … et qui dépend de la richesse supposée du contrevenant.

 

Devant leur "ami" albanais, c'est une diatribe colonialiste qu'il nous est donné à entendre, diatribe qui n'aurait rien à envier à ce qu'Hergé faisait dire à ses personnages dans Tintin au Congo. Nous prétextons des courses à faire pour nous éclipser.

 

Un petit tour au supermarché. Celui-ci, flambant neuf, et même trop neuf pour être "honnête", fait partie d'une chaîne italienne et vend les mêmes produits qu'en Italie à des prix … italiens. Autant dire que nous sommes les seul.e.s à faire les courses et qu'elles seront limitées : nous n'avons plus l'habitude de ces prix prohibitifs. C'est ce qui s'appelle "occuper le terrain" en attendant le réveil économique du pays.

 

Retour à l'hôtel, douche puis repas dans la chambre. Chaleur, moustiques et maux de ventre persistants pour moi rendent encore une fois ces instants bien pénibles.

 

Nous sortons après le repas. TOUTE la ville est dans la rue. Karin a encore la force de discuter avec de jeunes étudiantes albanaises qui rêvent de partir loin d'ici … en Italie pour commencer.

 

Je me laisse guider, fatigué, épuisé. Une échoppe pour acheter de l'eau (vu les industries présentes dans le coin, il vaut mieux se méfier de celle du robinet) et quelques gâteaux.

 

Il est temps d'aller dormir ou plutôt essayer de le faire. J'aurais tellement envie d'un peu de frais !!

 

 

 

 

Elbasan (Albanie) – Berat (Albanie)

 

 

 

On ne compte décidément plus les nuits qui ajoutent de la fatigue à la fatigue … Moustiques, chaleur. On se lève … épuisé.e.s ! Mais la perspective de se retrouver ce soir à Berat, l'une des (ou la) plus belles villes d'Albanie, instille malicieusement l'énergie qui pousse à partir.

 

Nous descendons dans le hall de l'hôtel pour le petit-déjeuner inclus dans le prix. On nous sert un café et deux croissants emballés sous plastique qu'un employé se sera empressé d'aller acheter … avec ses propres deniers … ce qui ajoute un élément à la confusion lié à l'incompréhension linguistique.

 

Nous récupérons nos vélos qui ont "dormi" dans le garage. Ce sera le seul moment de fraîcheur de la journée !

 

Direction plein ouest pour commencer. Léger faux-plat descendant, vent dans le dos, complexe métallurgique à notre gauche. Trois raisons de retrouver la motivation. Évidemment les deux premières se comprennent aisément, quant à la troisième, elle vient confirmer mon attirance pour ces tuyaux, ses fumerolles, ses cheminées gigantesques, … Quel régal c'était, la nuit, de traverser les complexes pétrochimiques de Petit-Couronne dans la banlieue de Rouen ou de Notre-Dame de Gravenchon près du Havre. L'esthétique du chaos …

 

A Papër, nous quittons la route principale pour tourner à gauche en direction de Cërrik. On rate la bifurcation pour Belsh. Un kilomètre dans la mauvaise direction, le temps de demander dans une station-service la bonne direction. Demi-tour. Photo au croisement. Nous sommes au 2 000e kilomètre du voyage. L'Italien d'hier soir nous a dit le plus grand bien de cette route serpentant entre les lacs et les étangs. A présent, on a peine à le croire car la région semble aride. Pourtant, après une sévère côte (enfin, sévère parce que nous sommes chargé.e.s et qu'il fait déjà très chaud), nous arrivons à Belsh, charmante cité lovée autour de son … lac. La terrasse ombragée d'un café nous tend … sa tonnelle. Comme d'habitude, c'est café/Coca. Nos voisins de table, indigènes, nous vantent le paysage. Pas vraiment besoin d'en rajouter, c'est effectivement très beau et, même si ce n'est que psychologique, cette eau stagnante nous apporte une légère sensation de fraîcheur.

 

La petite route qu'on emprunte ensuite serpente parmi les collines et les lacs … un air de Toscane … les cyprès en moins. Nous traversons Hardhias et Fier-Shegan. Chaque toit de maison est orné d'une citerne cylindrique généralement bleue … L'eau est une denrée rare !

 

Pas si rare que cela finalement, car de nombreux autochtones prennent le temps d'arroser … le trottoir ou la route devant chez eux afin de se procurer (pour quelques instants) un peu de fraîcheur. Nous profitons de chacune de ces "rencontres" pour passer au plus près ou même, pour carrément demander que l'on nous arrose ! Sensation fugitive de bien-être total !

 

D'après ma carte, nous devons longer un immense réservoir … que nous ne verrons jamais ! Toujours est-il que, malgré cette carte aux tracés fantaisistes, nous retrouvons la route principale qui mène de Durrës à Berat. La chaleur, présente dès le matin mais supportable il y a encore une heure, nous accable à présent. A notre gauche, au niveau du carrefour, un café et, sur le parking, une cage grillagée d'environ un mètre carré en plein soleil. Une masse jaunâtre et velue est allongée à l'intérieur. Nous nous approchons mais nous ne voulons croire à ce que nous imaginons. Envie de vomir. C'est un ours qui ahane et dont seul le mouvement de la cage thoracique nous indique qu'il est encore en vie.

 

Quelques hectomètres plus loin, nous nous arrêtons sur le parking d'un restaurant. On décide de squatter la terrasse sous les arbres et de sortir notre repas.

 

Au-dessus de nous, des gens mangent ce qui semble être de la friture de poisson … par cette chaleur ! Nos piteux états (ou notre pauvreté apparente, il suffit de voir nos vélos à côté de leurs grosses voitures aux vitres teintées sur le parking !) les incitent à nous en proposer ! Nous devons tellement faire peine à voir que les serveurs ne viendront même pas nous importuner en nous demandant si nous voulons commander quelque chose. Nous faisons juste traîner en longueur le Coca. Karin ne semble pas souffrir de cette chaleur (36° à l'ombre), contrairement à moi ! Partir serait comme se jeter dans le cratère de l'Etna ou dans un haut-fourneau lorrain même si c'est maintenant déjà que je sens les effluves brûlantes et asphyxiantes. Je ne veux pas, je ne peux pas ! On attend, on attend, on attend … Tout ce que je perçois pour l'heure, ce sont encore les 30 kilomètres de calvaire à subir. Finalement, je me persuade que rouler brassera l'air brûlant. En définitive et heureusement, le vent est dans le dos et le compteur n'affiche que … 42°C ! A Ura Vajgurore, je n'en peux plus de boire l'eau chaude de mes bidons. Je stoppe, saute de mon vélo et fonce dans un commerce acheter une bouteille d'eau, la plus fraîche possible. La vendeuse m'indique que celle qu'elle vend ne l'est pas et qu'il vaut mieux que j'aille à côté, sa collègue ayant un réfrigérateur ! J'imagine bien cette situation en Europe occidentale !

 

La bouteille est engloutie en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire. Encore 10 kilomètres. Je fonce maintenant sachant Karin devant. Je fonce, je fonce et ne vois rien au loin malgré la quasi rectitude de la route. Entrée de Berat. Je m'arrête dans une station-service (on ne dira jamais assez tout le bien que procure une station-service : de l'eau, des toilettes, de l'ombre, des renseignements) pour demander en italien si les occupants du lieu n'ont pas vu passer une elfe, une fusée à vélo. La réponse négative m'inquiète … Et zut (et même plus que zut !), on s'est encore perdu.e.s ! Juste le temps de me retourner et je vois Karin arriver. Juste après mon arrêt "bouteille d'eau", elle m'attendait au bord de la route. Je suis passé sans la voir. Encore une preuve du fait que je dois vraiment avoir atteint la limite de mes capacités …physiques et intellectuelles.

 

Il faudrait, comme lors de certaines expéditions himalayennes, se poser quelques questions simples, histoire de savoir si le cerveau fonctionne encore normalement. En ce qui me concerne, à cette heure, j'en doute !

 

Nous entrons dans Berat, la ville aux mille fenêtres. Au pied de montagnes culminant au-delà des 2 000 mètres, le long de la rivière Osum, l'emplacement de la ville est idyllique. Rien n'a vraiment changé depuis 1921, quand Justin Godard écrit que "Berat est tout étagé. Berat est tout en fenêtres. Des deux côtés du fleuve les maisons, dont aucune n'est sur le même plan, se sont haussées, chacune, pour placer leur façade en pleine vue, et des milliers d'ouvertures, noires le jour, lumineuses la nuit, font au flanc des pentes raides une mosaïque sans pareille."

 

On pose la tente dans le jardin d'une petite auberge de jeunessesituée dans le quartier de Gorica. La colline sur laquelle trône la citadelle de la ville nous fait face.

 

L' auberge de jeunesse est occupée par des Italiens, des Allemands, des Espagnols, … Le centre de la ville, inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 2008, semble en effet attirer les touristes osant s'aventurer plus avant dans le pays.

 

Après avoir cueilli et dégusté du raisin et des figues du jardin, nous descendons "à la ville" comme tout bon Albanais qui souhaite profiter des premières heures sombres et "fraîches". Il est 20 heures, il fait nuit noire et, comme à Elbasan, TOUTE la ville est dans la rue. C'est le Xhiro : les commerces ouvrent à nouveau, les enfants s'agglutinent près des vendeurs de maïs grillé, les jeunes se sont habillé.e.s en conséquence, les plus âgé.e.s déambulent en discutant, certains, à l'écart, lavent encore et encore leur voiture. Peu d'étrangers finalement … Nous n'entendons parler qu'albanais et malgré (ou à cause de) notre tenue qui trahit notre statut de touristes, les regards qu'on nous lance mélangent la bienveillance et la curiosité.

 

Nous nous installons à la terrasse d'un petit restaurant sans prétention pour manger une pizza (que nous paierons l'équivalent de 2 euros).

 

Dernier passage (pour aujourd'hui) dans le quartier Mangalem, le plus typique de la ville, celui au pied de la citadelle : un entrelacs de minuscules ruelles pavées montant et descendant au gré de la déclivité du terrain et serpentant entre toutes ces maisons d'un blanc immaculé. Depuis le pas de sa porte d'entrée, un homme nous hèle en de nombreuses langues, cherchant à connaître celles que l'on maîtrise. Il nous parle de la beauté de la ville et … de la chambre qu'il peut nous louer ! Plus loin, une très vieille femme toute de noir vêtue fume tranquillement une cigarette assise sur le rebord du trottoir.

 

Celle balade nocturne vient de nous soutirer nos dernières forces de la journée. Nous savourons par anticipation la journée de demain qui sera consacrée au repos et à la tranquille visite de la ville.

 

 

 

Journée à Berat (Albanie)

 

 

 

Ah, ce réveil ! Rien à ranger, pas à sauter sur le vélo aujourd'hui ! Je me lève toutefois très tôt pour, d'une part, profiter de la "fraîcheur" d'avant les premiers rayons du soleil et, d'autre part, partir à la découverte de l'environnement immédiat (je garde le centre de la ville pour plus tard).

 

J'essaie de rejoindre le sommet de la colline au pied de laquelle nous avons dormi … Toujours être attiré par les hauteurs. En quête du chemin, je cours après un vieil homme. Il m'explique qu'il parle italien car il passe ses journées devant la chaîne sport de la RAI et … qu'il n'est pas possible de gravir la colline … à moins d'être muni d'une machette ou d'un coupe-coupe. Déçu, je fais demi-tour et me dirige vers la partie moderne de la ville, partie sans charme qui, pourtant, semble particulièrement animée ce matin.

 

Une foule bariolée parcourt les allées d'un immense marché installé le long de la rivière et sur le pont enjambant celle-ci. Je croise un homme transportant le mouton qu'il vient d'acheter, un vieil homme coud des selles (pas pour un vélo, pour un cheval ou plutôt pour celui ou celle qui va le monter), un autre vend des chèvres. Des vêtements, des ustensiles de cuisine, de la nourriture, … Rien que de l'"utile" !

 

L'"agréable" (quand même) est représenté par la vente de graines de tournesol, de pop corn et de maïs grillé.

 

 

De retour auprès de la tente, je prends le petit-déjeuner avec Karin et l'encourage à "visiter" ce lieu de vie. Rien n'est plus fascinant qu'un tour au marché pour essayer de s'imprégner, de comprendre, de s'intégrer. Rien n'est plus révélateur concernant la vie sociale d'une communauté.

 

Celui-ci est bigarré, joyeux et animé, un heureux mélange slavo-méditerranéen. Des Roms, venus en énormes triporteurs à moteur importés de Chine, étalent qui des vêtements multicolores à des prix imbattables … même dans la moindre foire-à-tout occidentale, qui des ustensiles de cuisine, qui des chaussures ayant manifestement accueilli d'autres pieds, …

 

 

Il faut quand même dire un mot au sujet de ces triporteurs que l'on voit partout en Albanie, survivance certaine de l'ex-amitié albano-chinoise … avant que ce minuscule pays ne se fâche avec tout le monde (URSS et Chine comprises) et ne devienne, à lui tout seul, garant de l'orthodoxie et de la pureté du communisme le plus pur.

 

En tout cas - faut-il y voir un signe ? - tous ces triporteurs font un boucan d'enfer et rejettent des nuages de gaz d'échappement si noirs et si volumineux que nous ne savons pas si ce n'est pas le nuage qui pousse l'engin !

 

Karin s'approche d'un étal où l'on vend du tabac. Celui-ci est présenté en gros "pains" et vendu au poids. Le vendeur lui propose d'en goûter plusieurs. Elle repartira avec un pain de 400 grammes emballé dans un sac plastique, pain qui lui aura coûté l'équivalent du prix de 30 grammes en France.

 

Karin profitera aussi de l'occasion pour rencontrer des femmes vendant des vêtements. Elles seront généralement fières de poser pour une photo, fières, pour certaines, de montrer toutes leurs dents en or !

 

En italien, elles ne comprennent pas que nous soyons là alors que l'Italie, c'est si bien !

 

 

Encore une fois, nous nous faisons remarquer que nous avons rarementeu l'occasion de discuter avec des femmes … à part sur les marchés. Ailleurs, dans les cafés, les restaurants, beaucoup d'hommes (et beaucoup d'enfants!) sont venus à notre rencontre. Une demi-humanité quasiment invisible.

 

 

Après le marché, tout va devenir beaucoup plus difficile en raison de la chaleur qui vient de s'abattre sur la ville. Nous parcourons à l'ombre le peu de distance que nous avons à faire, nous nous arrêtons aux terrasses des cafés et y restons des heures … tant que le soleil ne nous en a pas délogé.e.s.

 

Rapide tour dans le quartier médiéval de la ville. Des églises, des chats. Reste encore la citadelle et son quartier d'habitation : le Kalaja.

 

Nous reculons le moment du départ, attendant que la rude montée soit à l'ombre.

 

Après un énième café, nous voilà parti.e.s.

 

La route étroite et pentue que nous empruntons est pavée, mais de pavés si bien lissés que nous manquons de glisser et redescendre à chaque pas ! Nous nous amusons du manège des voitures essayant d'atteindre le sommet par cette voie : les taxis, habitués, font hurler le moteur dès le bas de la pente et, ahanant, débouchent au sommet non sans avoir croisé les doigts pour ne rencontrer aucune voiture venant en sens inverse. Car, évidemment, la rue est en double sens … sans qu'il soit possible de se croiser !!!

 

Quatre jeunes, dans une petite voiture italienne, tentent l'exploit. La voiture peine, peine, patine quelquefois mais avance tant bien que mal. Plus que 50 mètres, 30 mètres, 10 mètres. Le suspense est à son comble. Un véhicule arrive au loin. Le chauffeur italien freine, sa voiture s'immobilise. Erreur fatale ! Par des appels de phare, le nouvel arrivant fait comprendre qu'il attend. Mais la voiture patine, patine, patine si bien que la seule solution est de redescendre toute la pente en marche arrière !

 

Ainsi, sans nous en être rendu compte, nous débouchons sur la place en haut de la citadelle. Les hauts murs protègent un quartier encore habité de nos jours. En son sein, on trouve également quelques chapelles et deux mosquées.

 

Un couple de mariés croise notre route. Encore une fois, le mariage comme autre "sport" national avec le lavage de voitures !

 

Nous laissons les deux tourtereaux à leur bonheur et poursuivons notre chemin pour constater un peu plus loin, un peu plus haut, que la vue est époustouflante sur les montagnes, la vallée de Berat et la ville elle-même.

 

 

L'université (privée) de Berat, en construction, attire notre attention en contrebas. En effet, comment ne pas remarquer ce gros bâtiment blanc, sorte de meringue au milieu de nulle part, qui aurait pris la Maison Blanche comme modèle ?

 

Un de nos futurs interlocuteurs nous apprendra qu'en Albanie, les meilleurs élèves poursuivent leurs études dans les établissements publics (gratuits) et que les moins bons (qui ont, pour certains, raté l'examen équivalent à notre baccalauréat) atterrissent dans ces établissements privés … grâce aux ressources financières des parents.

 

Tout se vend, tout s'achète. Partout, tout le temps.

 

Nous redescendons de notre montagne, allons manger une salade qui, nous l'espérons, passera mieux que la pizza d'hier. Mais, culinairement parlant, nous n'en sommes plus à incriminer qui ou quoi que ce soit. Nous savons nos estomacs détraqués et attendons avec impatience le jour où nous pourrons à nouveau manger avec plaisir. En tout cas, le climat d'ici ne nous y aide pas !

 

 

34ème jour de voyage. Demain, dernière journée à vélo. Nous devrions arriver près de Durrës où nous prendrons le bateau pour l'Italie dans 3 jours.

 

Sensation bizarre … Nous en sommes arrivé.e.s là sans vraiment nous en rendre compte, petit à petit, kilomètreaprès kilomètre, coup de pédales après coup de pédales. Comme quoi le vélo optimise la vitesse du changement : ni trop rapide, ni trop lent.

 

A présent, à vouloir commencer trop tôt le bilan du voyage, tout se mélange : les noms des gens, des endroits, les visages, les paysages, …

 

Mais est-ce bien utile de trier tout cela ? Le voyage comme un maelström, comme une façon de chambouler nos vies (trop) bien rangées.

 

 

 

 

 

Berat (Abanie) – Mali i Robit (près de Durrës – Albanie)

 

 

 

Ne voulant pas revivre la galère caniculaire de l'arrivée à Berat, nous décidons de partir le plus tôt possible le lendemain, car une centaine de kilomètres nous attend.

 

Karin se réveille à 4 heures, elle me réveille à 5. Petit-déjeuner, rangement, … et nous voilà parti.e.s pour la dernière vraie étape.

 

On annonce 37°C aujourd'hui. Il fait encore presque nuit quand nous traversons le pont du marché (on l'appellera comme ça). Les premiers rayons du soleil percent les frondaisons et strient d'une couleur jaune orangée le triporteur qui passe devant nous … dans un nuage noir évidemment ! Le chauffeur nous fait un grand signe amical, que nous lui retournons.

 

Les premiers kilomètres sont magiques … comme souvent dans cette situation-là : peu ou pas de circulation, léger faux-plat descendant (juste imperceptible : on a l'impression que la route est plate et que ce n'est que notre force qui nous fait avancer à cette vitesse !), fraîcheur matinale, vent dans le dos et légère pénombre.

 

Que j'ai toujours plaisir à rouler à bicyclette de nuit ! Un des souvenirs les plus mémorables fut les 30 kilomètres parcourus à Istanbul le long de la côte asiatique du Bosphore pour aller déguster, dans une échoppe quelconque, le meilleur yaourt artisanal de la ville, puis revenir au point de départ pour siroter un thé au bord de l'eau, à deux heures du matin.

 

 

Malheureusement, retour rapide à la réalité olfactive du moment. La route est encore une fois un sillon bordé de sacs poubelles et de déchets en tout genre. L'odeur va très vite devenir pestilentielle.

 

Nous repassons devant l'ours, alerte (ou tout du moins vivant) de bon matin, et arrivons à Lushnjë. Déjà 35 kilomètres de parcourus … sans s'en rendre compte.

 

Nous sortons de la ville et prenons un café et un Coca (vu le nombre de litres déjà ingurgités, nous en venons à nous demander si son prétendu effet positif sur des estomacs détraqués ne serait pas une astuce publicitaire) dans un bar en bordure de route au niveau d'un rond-point. Efficacité.

 

Encore un mariage.

 

Nous entrons alors sur l'autoroute … en tout cas un panneau nous le signale ! Une autoroute albanaise : pas vraiment de place pour doubler (aucune ligne peinte au sol ne matérialise les voies), un terre-plein central rudimentaire (quelques cailloux). On s'y sent donc à l'aise.

 

Après la Serbie (entre Belgrade et Pancevo), la Turquie (pour entrer dans Istanbul) et les 500 mètres avant Kakanj en Bosnie, voici donc notre quatrième expérience autoroutière à vélo !

 

On la quitte à Kavajë. Nous traversons le marché où Karin achète quelques légumes, juste le temps pour la vendeuse de la féliciter pour sa petite chemise … qu'elle avait achetée la veille sur le marché de Berat !)

 

Entre deux étals près du stade, nous nous asseyons pour manger. Évidemment, nous ne laissons pas indifférents les badauds qui nous lancent une nouvelle fois des regards bienveillants.

 

Il est 11h45, il fait 38°C et il reste environ 15 kilomètres avant la fin de cette étape. Nous approchons de Durrës, deuxième ville et premier port d'Albanie.

 

Recherche d'un camping. A Mali i Robit (près de Golem !), un panneau nous en indique un. Nous préférons continuer et nous rapprocher de Durrës. En omettant de préciser que la route que nous empruntons n'est pas goudronnée, on pourrait se croire maintenant au bord de n'importe quel rivage en France ou en Italie : touristes allant à la plage, résidences de tourisme avec piscine, commerces vendant des ballons, des bouées, des crocodiles gonflables (encore !), … Tout y est. Mais pas de camping. Nous demandons à des passants, à des chauffeurs de bus, à des gendarmes. Les avis sont tout sauf unanimes ! Les contradictions s'enchaînent, on ne sait plus qui ou quoi croire.

 

On mettra sur le compte de l'afflux de touristes le manque de sympathie des personnes rencontrées à cette occasion. (Nos mines de plus en plus irritées à cause de la chaleur, la fatigue... y auront été peut-être pour quelque chose...)

 

Dernière information qui nous est donnée : les gérants de la résidence de vacances devant laquelle nous nous trouvons permettent de planter la tente sur une pelouse. Nous y entrons. La piscine est bondée. Ce ne sont que des Italiens et quelques Allemands, Français, … Aucun Albanais ! Quel contraste avec le marché de ce matin !

 

On demande et … ce n'est pas possible ! Ouf ! Serait-on tenté de dire tant l'ambiance ici ne nous convient pas.

 

Tous ces gens pour qui venir en vacances en Albanie revient à faire exactement la même chose que chez eux en étant fier de payer moins cher dans ce pays considéré, selon les standards occidento-centrés, comme arriéré.

 

Nous faisons demi-tour pour rejoindre le camping que nous avions entr'aperçu à 10 kilomètres de là. Malgré le vent dans le dos, nous vivons un calvaire : ces kilomètres en plus sont des kilomètres de trop. Il fait trop chaud. La route coincée entre les résidences et l'autoroute sent le dépotoir, les ordures brûlées.

 

Le panneau synonyme de délivrance, enfin ! Une cour d'hôtel sous d'immenses pins : l'ombre est totale, il fait frais.

 

Le prix est ridicule, nous profiterons des sanitaires et des douches de l'hôtel.

 

On installe la tente, on revit … juste avant de nous écrouler pour une sieste que l'on espère réparatrice.

 

Plus tard, à la tombée du jour, nous irons faire un tour sur la plage. Mal nous en a pris. Nous avions déjà testé l'antipathie des gens dans cette zone balnéaire, nous "testons" à présent les plages albanaises, tout du moins la plage dont nous foulons le sable à présent.

 

De loin, de très loin, elle ressemble à n'importe quelle plage italienne de la côte adriatique : des alignements bien ordonnés de parasols avec, sous chacun, une chaise longue attendant un touriste qui a payé au prix fort le droit de s'allonger à cet endroit précis.

 

Ici, en s'approchant, on remarque que de nombreux parasols sont déchirés, tous sont défraîchis et les chaises longues pour la plupart cassées.

 

Se promener sur la plage relève de l'exercice d'équilibriste consistant à éviter tous les détritus jonchant le sol : bouteilles, sacs poubelles pleins, … Pour ne rien arranger, l'odeur est encore une fois pestilentielle.

 

C'en est trop ! Nous vivons cet instant comme une mise à l'épreuve. Nous retournons nous coucher sans nous être baigné.e.s une dernière fois.

 

 

 

Journée à Tirana (Albanie)

 

 

 

Nous décidons, pour notre dernière journée complète en Albanie, de faire un tour dans la capitale Tirana. Nous prenons les vélos pour aller jusqu'à la gare de Durrës.

 

Il faut savoir que le réseau ferroviaire albanais est en complète déliquescence et qu'il est fièrement composé de … 4 lignes principales partant toutes de Durrës. Ici, on prend le train quand on n'a pas assez d'argent pour prendre le bus.

 

Sur sa ligne à voie unique, un antique train italien va donc nous mener en une heure à Tirana, la capitale, distante de 45 kilomètres.

 

Incapables de nous faire comprendre, nous ne savons pas si nous devons payer un supplément pour les vélos. Nous achetons les billets : 110 Leke l'aller-retour (l'équivalent de 70 centimes d'euros).

 

Buvant un café en attendant le départ du train, Karin apprend qu'elle sera affectée dans un lycée de Belfort à la rentrée prochaine. Une bonne (?) nouvelle pour commencer la journée.Pourtant, cette irruption de la vie professionnelle par voie téléphonique est quelque peu brutale : oui, ce voyage et avec lui les vacances vont se terminer dans quelques jours...

 

L'heure du départ approche : le chef de gare, le conducteur du train, des employés divers s'affairent. Nous constatons qu'il y a plus de salariés que de … voyageurs !!!

 

On nous fait monter dans un train … qui s'avère ne pas être le bon. On nous fait redescendre. On attend sur le quai. "Notre" train arrive. On partira avec une demi-heure de retard. Mais est-ce si important que cela ? On apprend ici à vivre à un autre rythme, un rythme bien différent de celui habituel. Et nous sommes de plus en plus persuadés que ce sont "eux" qui ont raison et pas "nous".

 

On hisse avec grande difficulté les vélos dans le wagon avec l'aide de toutes les personnes passant à proximité. J'ai rarement vu un tel espacement entre le quai et l'entrée du wagon ! Cela me rappelle la gare de Dunavtsi, en Bulgarie près de Vidin, où nous avions dû prendre le train en direction de Sofia. Hisser les vélos à bout de bras ne fut pas une sinécure mais nous fûmes bien aidés par un jeune bulgare possédant un antique vélo rouillé et dont nous apprendrons par la suite qu'il maîtrisait un peu d'allemand car sa fille, gravement malade, était souvent soignée en Allemagne. Qu'est-il devenu ? Toujours cette frustration de rencontres sans lendemains ...

 

Ah ! L'expérience du train albanais ! Comme les barrières sont quasiment inexistantes, le convoi annonce son arrivée à chaque croisement de route ou chemin par une sirène parfaitement reconnaissable. Choses vues : des vaches toujours seules et attachées dans les prés (quelquefois, un homme allongé dans l'herbe la "garde"), des maisons en construction partout (finies ou éternellement en cours de construction), un garde-barrière âgé d'environ … 6 ans !, les montagnes impressionnantes autour de Tirana, un vieil homme assis en bout de quai, au milieu de nulle part, une immense faux à ses côtés, la rruga Koka Kola (rue Coca Cola) à Kamëz en banlieue de Tirana. J'ai d'ailleurs noté avec contentement que cette rue était l'une des seules à ne pas être goudronnées depuis le début du voyage !!! Mais je me doute que cette situation ne saurait durer trop longtemps ...

 

Pour ce qui est de Tirana … Nous y aurons mis les pieds mais nous n'aurons pas vu grand chose.

 

Une place centrale en pleine reconstruction avec, en son milieu, la statue du héros national : Skanderbeg, seigneur du XVe siècle qui a tenu tête à l'Empire Ottoman et fondé le premier état proprement albanais. Non loin de là, une mosquée de laquelle un muezzin prêcha pendant des heures en direct (il s'arrêtait même souvent pour tousser !!). Des quartiers modernes ressemblant à n'importe quel autre quartier moderne de n'importe quelle autre ville européenne.

 

Une librairie dans laquelle nous achèterons un livre d'Ismaïl Kadaré pour notre hôte de Bologne sur la route du retour.

 

Une belle rencontre avec un jeune couple lillois voyageant depuis 10 mois autour du monde en tandem. Ils nous donnent envie de visiter les pays du Caucase.

 

Une dernière glace à la terrasse d'un café à observer un morceau de la vie d'ici par l'intermédiaire de notre prisme déformant d'occidental.

 

De notre poste d'observation, nous avons du mal à croire qu'il y a environ 40 ans, les barbes et cheveux longs étaient interdits en tant que preuves d'une dégénérescence des mœurs vers des pratiques petit-bourgeoises. (Cela n'affecta toutefois pas la moustache ! L'albanais est quand même une langue dans laquelle le mot "moustache" peut être traduit de … 27 manières différentes !). Ah, oui ! Les sacs à main en bandoulière étaient également interdits ! Tout cela a disparu, heureusement … quoique ?

 

De notre poste d'observation, nous voyons surtout le ballet incessant des gros 4x4 Mercedes aux vitres teintées. Même marque automobile que celle utilisée prioritairement dans les campagnes ou les petites villes. Mais ici, ce n'est plus le modèle 200D affichant plus de 500 000 kilomètres au compteur de la marque allemande !

 

Voilà, nous aurons vu Tirana.

 

Il est toujours dur de terminer un voyage, nous sommes encore ici mais plus vraiment quand même. Nous remplissons les heures la tête ailleurs en regrettant déjà de quitter ce pays multi-facettes et oh combien attachant !

 

Retour à la gare. Ses trains aussi vétustes qu'à l'aller, ses vaches broutant entre les voies.

 

Dans le train, la contrôleuse nous fait toute une histoire pour les vélos. On croit comprendre qu'elle nous explique vertement que c'est interdit et que ça salit le wagon. On manque d'éclater de rire tellement celui-ci est en piteux état ! Elle nous fait payer un supplément ridicule mais qui a le mérite de lui procurer le plaisir de celui ou celle qui sent qu'il/elle a du pouvoir … si petit soit-il !!!

 

Arrivée à Durrës. La route du retour, la même qu'hier, nous paraît agréable en cette fin de journée : la lumière du soir semble "laver" le paysage et adoucir même les effluves les plus nauséabondes.

 

En vue de la bifurcation vers le camping, nous apercevons une charrette que nous imaginons tirée par un cheval. De derrière, nous ne le voyons pas, caché qu'il est par une gigantesque montagne de déchets plastiques. Cet attelage improbable, premiers pas vers un recyclage qui donne bonne conscience, tourne à droite, direction … Golem !

 

 

Pour nous, direction la tente sans passer par la case "plage" !

 

Demain, le grand départ. Sentiment mitigé ce soir : tristesse de se dire que le voyage se termine ici mais soulagement aussi, tellement les dernières journées nous ont éprouvé.e.s : chaleur, faiblesse généralisée due à cette maudite intoxication alimentaire, pollution, … Nous n'en pouvons plus de la chaleur, du ciel bleu cristallin, du beau temps perpétuellement trop chaud. Nous rêvons d'une bonne pluie qui laverait et nettoierait la couche d'inconfort dans laquelle nous vivons depuis trop longtemps maintenant.

 

Nous essayons de nous souvenir de "notre" dernière pluie. Sans compter les trois gouttes avant Bulqizë, c'était à Kotor, début des ennuis il y a quatorze jours à présent.

 

Cette nuit, ce sera : "Karin contre les moustiques", "Karin a envie de vomir", "Karin en a marre". Ça tombe bien, on rentre !

 

 

 

Mali i Robit – Durrës (Albanie) et embarquement

 

 

 

Peu d'agitation ce matin. Le bateau qui va nous ramener en Italie ne part que vers 19h00. Nous prenons le temps de discuter une dernière fois avec ce couple de retraités parti depuis 11 mois autour de la Méditerranée et de l'Adriatique en camping-car 4x4.

 

Pour la dernière fois, nous remballons toutes nos affaires dans les sacoches et autres sacs étanches.

 

On se dirige maintenant vers Durrës, terme du voyage. Quelques heures à remplir dans une sorte de voyage immobile. A vélo, si l'on n'avance plus, on tombe. J'ai vaguement l'impression que nous sommes en train de "tomber", à vouloir remplir coûte que coûte l'espace temporel qui nous sépare de l'appareillage.

 

Visite de l'amphithéâtre romain de la ville, de la grande mosquée et … un café.

 

Nous décidons de gravir la colline surplombant la ville, colline dotée d'un phare à son sommet.

 

Nous passons devant l'ancienne résidence du roi Zog Ier. Cette imposante demeure dominant la mer et la ville est laissée à l'abandon. Un grillage en interdit l'accès.

 

Tout en haut de la colline, au pied du phare, la vue nous coupe le souffle, déjà coupée par la rude montée dans laquelle nous avons poussé nos vélos bien chargés : la ville à nos pieds, la mer droit devant bordée de plages qui, d'ici, semblent propres. En nous retournant, la grande plaine qui mène jusqu'à Tirana et les montagnes au loin.

 

Nous redescendons en ville. Envie de monter dans le ferry.

 

Karin va dépenser les derniers Leke qu'il nous reste pendant qu'un gamin rigolard essaie de me voler mon casque, mes lunettes et mes gants de vélo. Un seul regard et il fuit en courant, toujours rigolard.

 

Un cortège funéraire passe dans la rue à ma hauteur. 4 hommes portent le cercueil, une dizaine de personnes suit à pied. Surréel et minimaliste !

 

Karin revient en se plaignant de plus en plus d'une douleur au ventre.

 

Il est temps de se diriger vers le port.

 

Formalités d'embarquement. Karin se sent de moins en moins bien. Les vélos cadenassés dans le parking "voitures" du ferry, nous montons rejoindre notre cabine. 20 heures de traversée jusqu'à Ancona. Karin s'écroule sur une couchette, malade. Je pars sur le pont supérieur prendre quelques photographies du soleil couchant accompagnant notre départ.

 

Lorsque je quitte le pont, les lueurs de la ville s'évanouissent peu à peu. Confusion des sentiments : tristesse d'une fin, tristesse de quitter ce pays aux habitants attachants, joie d'un nouveau départ.

 

De retour, près de la cabine, je suis abasourdi par l'effervescence régnant dans la coursive. Le médecin du bateau est là, accompagné d'un certain nombre de membres d'équipage. Karin ne va pas bien du tout, son ventre la fait atrocement souffrir.

 

Le médecin du bord demande que l'on nous débarque pour diriger Karin vers l'hôpital de la ville. Le ferry fait demi-tour, à la rencontre du chaloupe qui doit nous ramener à terre.

 

Je remballe les affaires dans les sacoches, laisse les clés des cadenas des vélos à un membre d'équipage et nous partons en direction de la porte qui nous fera accéder à la chaloupe. Karin est portée, soutenue. Nous empruntons des coursives dans lesquelles la chaleur et le bruit sont insupportables. Nous devons approcher de la salle des machines. Le médecin me rassure tout en me disant que le passage sur la chaloupe sera quelque peu … dangereux ! Gloups !!

 

Ça y est ! On nous ouvre la porte ! Je jette un coup d'œil. Re-gloups ! Il fait nuit noire, la mer est environ 3 mètres plus bas et, en levant la tête, je découvre la masse sombre de cet immense navire. Karin est à demi-inconsciente lors de l'arrivée de la chaloupe. On la porte, elle arrive sur le toit de celle-ci puis est allongée le plus confortablement possible. Je suis le même chemin ainsi que nos 6 sacoches et nos deux sacs étanches.

 

L'ambulance nous attend sur le port. Karin souffre et je m'imagine dans un épisode du Prisonnier. Je croyais, la seconde d'avant, avoir réussi à m'enfuir du Village mais, contre toute attente, me voilà de retour, contraint de rejoindre mon point de départ. Toutes sirènes hurlantes, nous traversons la ville ensommeillée et arrivons à l'hôpital où Karin est prise en charge immédiatement pendant que j'attends dans le couloir. L'absence de matériel sophistiqué ayant du bon, le médecin diagnostiquera le problème au palpé. Un lavage gastrique plus tard, nous intégrons une chambre déjà occupée par 5 malades. Les poches de gouttes-à-gouttes sont placées dans des sacs en plastique eux-mêmes pendus à des portiques, c'est aux familles de vérifier leur bon fonctionnement et leur remplacement, les fenêtres ferment avec des morceaux de ruban adhésif, les toilettes sont d'une saleté repoussante, les médecins fument dans les couloirs, … En contrepartie, on sent une réelle compassion et entraide entre les malades, les familles. Notre statut d'étrangers nous pousse un peu au devant de ce microcosme que constitue cette chambre d'hôpital. Une jeune femme victime d'un accident de la route discute avec nous en italien. Sa mère va dormir en partageant le lit voisin déjà occupé par une malade qu'elle ne connaissait pas une heure auparavant. Il est 23h30 et nous essayons de dormir en oubliant les râles et les gémissements qui n'émeuvent personne. Durant la nuit, j'observe le ballet incessant des infirmières qui vont et viennent sans jamais intervenir. L'hôpital public albanais ne semble pas connaître de manque de personnel en tout cas, même si nous comprendrons plus tard que le Graal, c'est l'Italie !

 

 

 

Durrës (Albanie) – Tirana (Albanie)

 

 

Pour Karin, nouveau lavement gastrique ce matin.

 

Un lit précédemment libéré vient d'être occupé par une femme accompagnée de toute sa famille : une trentaine de personnes se trouvent donc dans la chambre !

 

 

Le médecin, dont nous ne louerons jamais assez la gentillesse et la compétence, nous explique que nous pouvons à présent prendre le bateau mais qu'il faudra, dès notre arrivée en Italie, effectuer des examens complémentaires.

 

Avant de retourner au port changer les billets, je téléphone, ce qui se révélera quand même une erreur par la suite, au numéro d'Europe Assistance noté au dos de ma carte Visa. Comme nous n'avons plus de place sur le bateau, je crois naïvement qu'il pourront nous proposer une alternative pour le voyage retour. Après avoir téléphoné au médecin, mon interlocuteur me rappelle et m'explique qu'il n'autorise pas le rapatriement dans ces conditions. Il veut des résultats d'analyses, aussi nous enjoint-il de rejoindre par ambulance l'American Hospital de Tirana.

 

Branle-bas de combat à l'hôpital de Durrës : des médecins nous déclarent qu'ils ne nous laisseront pas rejoindre cet établissement de santé, qu'ils sont sûrs de leur diagnostic et que l'on peut rentrer en Italie.

 

Je pars au port changer les billets pour un nouveau départ. Pas de bateau avant le surlendemain.Nous resterons donc en Albanie deux jours de plus.

 

A mon retour, l'ambulance attend devant l'hôpital.

 

Nos voisins de chambrée ne comprennent pas et prennent notre décision comme un lâche abandon, ce en quoi ils ont parfaitement raison. Nous sommes très mal à l'aise … d'autant que nous n'avons rien demandé ! Les ambulanciers finissent par s'engueuler avec les médecins ; ceux-ci retiennent nos bagages. "Non, vous ne partirez pas !"

 

Boules de flipper entre des intérêts qui nous dépassent, nous commençons à comprendre les enjeux d'une médecine à deux vitesses. "C'est bon ! Vous partez !" "Non, non ! C'est hors de question !" Notre mauvaise conscience augmente à mesure que la tension se fait plus prégnante. On voudrait s'excuser d'avoir le choix.

 

Finalement, nous quittons l'hôpital. Plus tard, nous remercierons chaleureusement par téléphone le médecin qui a pris en charge Karin ; il nous répondra qu'il n'a fait que son métier.

 

Durrës – Tirana en ambulance. Beaucoup plus rapide (mais moins charmant !) qu'avec le train de la veille !

 

L'American Hospital de Tirana. Un autre monde : en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, scanner et prise de sang confirmeront le premier diagnostic.

 

Nous sommes pris en charge par la correspondante locale d'Europe Assistance … qui finira dans le lit voisin de Karin pour une chute de tension !

 

Tout est neuf dans cette chambre à deux lits. En plus, on profite enfin d'une bonne douche vivifiante. De ce que nous voyons, les critères pour être médecin sont assez simples : il faut être une femme à l'allure de top model et âgée de moins de 30 ans.

 

Nous essayons d'en savoir plus sur le système de santé albanais. Comme partout, celles et ceux qui peuvent se le permettre contractent des assurances de santé privées afin de bénéficier de meilleurs soins.

 

Justement, en ce mois d'août généralement tranquille, l'hôpital offre 20% de réduction sur toutes les opérations. C'est le moment ! N'hésitons pas !

 

Pour les plus pauvres, il reste les établissements publics comme celui de Durrës : peu de matériel mais un personnel nombreux et compétent. On nous apprend enfin que certaines grosses opérations (cœur, rein, …) sont financées par l'Etat quand les familles ne le peuvent pas.

 

 

Une infirmière m'invite (sans trop avoir osé auparavant) à ranger correctement nos bagages dans l'armoire. Respectons le standing et la propreté du lieu ! Il est vrai que deux mois de camping m'ont fait prendre certaines habitudes : étaler les affaires pour trouver celles dont on aura besoin, ranger au dernier moment, ne pas trop faire le difficile quant à la propreté.

 

Ce qui est passé dans l'hôpital de Durrës ne passe plus ici, standing oblige.

 

En soirée, on se partage le plateau-repas … qui ressemble à tout plateau repas d'hôpital français. Sodexo, on t'a reconnue !

 

 

 

Tirana (Albanie) – Durrës (Albanie) et embarquement

 

 

Karin allant beaucoup mieux ce matin, je m'autorise une balade dans le quartier. Toujours autant de mini-hangars transformés en lieux où laver sa voiture. Un immense graffiti attire mon attention : sur un fond de carte de la région est écrit "united nation of Albania". J'y reconnais les parties colorées : l'Albanie évidemment, mais également le Kosovo, la Macédoine, le Monténégro et une partie de la Grèce. Autant de régions où la présence albanaise est sinon majoritaire, du moins très importante.

 

Plus loin, de vieux immeubles ont reçu un habillage pictural original. Volonté de cacher ce qui tombe en ruine, envie d'inonder de couleurs une vie monotone et/ou difficile ? Sûrement un peu des deux.

 

Ici, de gros points jaunes sur fond bleu, là, des rayures alternées bleu pâle – vert pomme.

 

Je vois passer un groupe de 5 cyclistes, de 5 vrais cyclistes, des coursiers affublés de superbes maillots jaunes et rouges "Albania". Les premiers dans ce pays.

 

Autre source d'étonnement : les ombrelles colorées qu'arborent fièrement les femmes pour se protéger du soleil néfaste. Avec les triporteurs, encore une survivance de l'ex-amitié albano-chinoise ?

 

 

De retour à l'hôpital, je trouve Karin ragaillardie et prête à sortir. La présence de gaufrettes Loacker (LA spécialité du Südtirol !) dans le distributeur du hall et la première cigarette depuis trois jours terminent de lui remonter le moral.

 

Un taxi doit venir nous chercher pour nous ramener au port de Durrës.

 

Après maints coups de fil et allers-retours entre le parking et la chambre, nous le trouvons enfin.

 

Après le train et l'ambulance, la voiture.

 

 

Nous voici donc au port pour la deuxième tentative.

 

Ne reste plus qu'à retrouver nos vélos.

 

Hier, l'agent de la compagnie maritime auprès de qui j'ai changé les billets m'a assuré que ceux-ci se trouvaient dans les locaux de la dite compagnie à Ancona. Si, si, il a vérifié en appelant le capitaine du bateau sur lequel nous avions commencé la traversée.

 

Assis sur le quai, nous attendons. Un ferry attend déjà mais c'est celui qui doit partir pour Bari. Le nôtre arrive à présent. Un opérateur de la compagnie vient nous voir et nous explique qu'il serait bien d'aller récupérer nos vélos. ???????? Ils sont restés dans le bateau qui a fait l'aller-retour pour Ancona et qui va partir pour Bari.

 

J'explique que j'ai donné les clés des cadenas à un steward à qui, dans la panique et la précipitation, je n'ai pas demandé le nom et qui, par conséquent, est … introuvable ! Il faut donc casser ces p... de cadenas. J'aiderai un charmant et dévoué ouvrier indonésien à s'escrimer à la tâche consistant à les couper avec une pince coupante … qui ne coupe pas, pour ensuite essayer de les scier avec une scie … qui ne scie pas ! Les seuls outils qu'il ait trouvés sur le bateau !

 

Une demi-heure après, en sueur, nous libérons enfin les deux vélos.

 

Nous pouvons embarquer, sereins en prévision de la nuit que nous allons passer à bord.

 

Le départ sera quand même retardé de 1h30. Nous "visitons" le ferry à la recherche du meilleur endroit pour passer la nuit puisque toutes les cabines étaient déjà réservées lors du changement de billets.

 

Siège demi-inclinable et life jackets en guise d'oreillers. Bonne nuit en perspective.

 

 

 

Durrës (Albanie) – Ancona (Italie) – Bologne (Italie)

 

 

 

Je me réveille à 4 heures, vais traîner sur les différents ponts. Les étoiles, l'air marin, les lueurs matinales. Il est maintenant 5h30, Karin est réveillée et nous profitons du lever de soleil sur les montagnes de la péninsule balkanique. Le ferry longera la côte croate pendant une bonne partie de la journée avant de traverser l'Adriatique plein Ouest pour rejoindre les côtes italiennes.

 

On se prend en photo sur le pont supérieur, on sort le réchaud et prenons notre dernier repas façon camping.

 

Qu'elle est longue, cette traversée sur une mer d'huile ! Juste un moment d'émotion lorsque quelques dauphins nous accompagnent gracieusement.

 

Voilà. 19 heures plus tôt, nous quittions Durrës, nous voici maintenant à Ancona. Transfert rapide du port à la gare, direction Bologna où nous dormirons chez un néo-zélandais.

 

20h00. 36°C encore !

 

Après un excellent plat de pâtes agrémentées de légumes sautés (notre premier "vrai" repas depuis bien longtemps : une table, des chaises, des assiettes et des couverts), Cameron nous propose de passer la soirée à la fête du Parti Démocrate italien. Balade vélocipédique de nuit. En temps normal, j'adore, mais là, ce soir, l'air chaud caniculaire rend tout effort pénible.

 

Cette "fête" s'avère n'être qu'une grande foire commerciale où les concessionnaires côtoient les viticulteurs, les producteurs d'olive et les faux bars à tapas espagnols où d'aucuns s'essaient au flamenco.

 

Quelle claque !! Sans nous parler, Karin et moi nous faisons comprendre que nous nous sentions décidément mieux en Albanie !

 

 

 

Bologne (Italie) – Bruneck (Italie)

 

 

 

Nuit torride. Pas moins de 30°C. Nous nous réveillons épuisé.e.s. Encore !

 

Nous prenons le temps de discuter avec Cameron au lieu de courir les rues de Bologna à la recherche d'un hypothétique lieu permettant d'assouvir une quelconque avidité touristique, si bien qu'il ne nous reste que quelques minutes pour admirer la Piazza Maggiore, trouver à manger et sauter dans le train.

 

Nous discutons quelques minutes avec un couple de cyclistes italiens partant visiter les Dolomites en tandem. La conversation tourne court, notre esprit est empli de bien d'autres images, des images d'ailleurs.

 

Après Bozen (Bolzano), le compartiment déborde de vélos. Franzenfeste enfin. Nous sommes au pied du Brenner côté italien. Je laisse à Karin la décision de la suite : elle choisit de nous faire parcourir les 40 derniers kilomètres dans le Pustertal à vélo. Je m'en réjouis ! Prolonger le voyage autant que possible. 40 km, 2 heures à repasser le film des presque deux derniers mois : certains passages en accéléré et d'autres au ralenti, histoire de bien les ressentir, les humer, s'en imprégner, les sentir vivants en nous, de leur laisser le temps d'une maturation, …

 

Qu'avons-nous vécu d'extraordinaire ? Qu'avons-nous vécu d'ordinaire ? Je ne le sais plus trop, je ne le sais pas encore … Mais, comme l'a écrit Carlos Fuentes, "la raison, ni lente ni paresseuse, nous apprend que sitôt répété, l'extraordinaire devient ordinaire, de même que dès que cesse la répétition, ce qui auparavant passait pour fait commun prend figure de prodige."

 

Le temps fera son œuvre.

 

Retour sur Terre. Dès la sortie du train, de violentes bourrasques nous accueillent en nous faisant presque perdre l'équilibre. A la vue des branches d'arbres au sol et des nombreuses flaques d'eau, nous en déduisons que l'orage a dû être violent.

 

La fatigue accumulée depuis un mois et demi ne nous permet pas de profiter pleinement des paysages, de la luminosité de ce jour finissant et de la limpidité de l'air après l'orage … d'autant plus que la piste cyclable de la vallée éprouve un malin plaisir à suivre et épouser tous les mouvements de terrain. Nous nous en moquons, nous sommes, pour quelque temps encore, en Albanie, dans les Balkans, de l'autre côté de la Mer Adriatique.

 

Nous croisons une paysanne, vêtue d'un Dirndl tyrolien avec tablier vert et décolleté généreux, chaussée de sabots, accompagnée d'un gros Saint-Bernard débonnaire. L'herbe est verte, le ciel bleu, d'un vert si vert et d'un bleu si bleu que l'on imaginerait aisément qu'une main bienveillante est venue les nettoyer à l'eau de Javel. Après l'Albanie, nous nous étonnons de savourer à pleines narines les effluves de … purin !!!

 

Il fait 12°C. Nous revivons !!!

 

Arrivée à la maison. Beaucoup d'émotions dans les embrassades du retour. Un bain, un lit, le Schüttelbrot. Autant de bonheurs simples que l'on apprécie de nouveau à leur juste valeur, celle des privilégié.e.s que nous sommes.

 

En cherchant le sommeil, nous remarquons que le bonheur est surtout bien au-delà de cela ...