Bruneck (Italie) – Sillian (Autriche)

 

 

La nuit d'avant le départ …

 

Tel un rituel bien huilé, la préparation du matériel a occupé une bonne partie de la soirée (c'est bien tardif mais ma propension à tout faire au dernier moment - ma procrastination a tout de même des limites - ainsi que l'habitude de partir à vélo m'y autorisent). Maintenant, bien calé au fond de mon lit, de brefs flashs de conscience font remonter quelques insidieuses questions sur le contenu des sacoches même si, à force d'avoir enlevé et remis des objets qui vont du superflu indispensable à l'indispensable superflu, je ne sais plus trop ce qu'elles contiennent ! Je profite de ces flashs pour m'enquérir du temps qu'il fait et mon ouïe m'aide à constater qu'en l'occurrence, la pluie est en train de redoubler d'intensité. Place aux derniers rêves peuplés de routes inconnues, de rencontres aussi hypothétiques que recherchées et de paysages idéalisés. Car, partir en voyage, c'est aussi aller vérifier sur place que les montagnes, les lacs, les plaines, les ruisseaux, les rencontres avec les gens sont tels que nous les avons rêvés.

 

 

Je repense aussi à ce qu'écrivait JB Pouy : « Le voyage, c'est réservé aux fanatiques de la musique classique, aaah, le Tibet, c'est aussi beau que de Mahler, et aux crétinoides jazzophiles, l'Amazone, ca coule comme du Miles Davies. Voyager c'est mozartiser intense. Le rock, lui, reste sur place, puissant comme les fumées de la Peuge recouvrant Montbéliard, comme le brouillard du chômedu planant sur Manchester, comme l'odeur de pneu caoutchoucisant les nuits d'Akron, comme la cordite empestant Vladivostok.

 

 

 

Vieux lieux

que personne ne visite et ne visitera jamais

[...]

 

Faut pas partir jamais

 

Faut partir sur place

 

Faut voyager interne. »

 

 

En cet été 2011, nous allons donc, Karin et moi, mozartiser entre Bruneck (ou Brunico), ville d'Italie, province du Südtirol (ou Alto Adige), vallée du Pustertal (ou Val Pusteria), Bruneck donc, et Durrës, deuxième plus grande ville et premier port d'Albanie, district de Durrës.

 

 

Ensuite, histoire de boucler la boucle, notre bande de Möbius à nous, retour d'abord en bateau jusqu'à Ancona, puis en train vers notre point de départ. Car, un voyage est véritablement un voyage s'il s'achève par un retour ... Même si, inévitablement, il ne s'achève pas tout à fait au retour : on rêve le voyage avant, on le vit ensuite puis, on finit par l'assimiler … à moins que ce soit lui qui nous assimile et nous transforme en transformant la vision que nous avons du monde et des autres.

 

 

 

Pourquoi ce nouveau voyage dans les Balkans après celui, l'année précédente, entre Belfort et Istanbul ? Parce que, justement, nous n'avions fait que découvrir superficiellement les Balkans à cette occasion, une région européenne qui nous est si proche (kilomètriquement parlant) et si lointaine (de par ce qu'ont vécu et ce que vivent encore ses habitant.e.s).

 

Parce que les traversées de la Serbie et de la Bulgarie un an auparavant nous avaient laissé.e.s enthousiastes et avides de nouvelles découvertes dans les autres pays composant cette péninsule que l'on nomme balkanique.

 

Envie donc d'en savoir plus, de voir plus, de rencontrer plus, de comprendre plus, … plus et mieux.

Le parcours envisagé, modifiable selon la forme (physique et mentale), les rencontres, les envies, … doit nous faire traverser Ljubljana, Zagreb, Sarajevo, Mostar, Dubrovnik, Kotor, Podgorica et enfin Tirana.

 

Autant de noms bien connues (par les guerres et les combats pour certains), villes plus ou moins touristiques qui, dans le cadre de ce voyage, font office de phares - sur Terre -, de repères. Elle ne sont d'ailleurs que cela vu que l'espace les séparant (ou les reliant, c'est selon) nous attire encore plus. Le voyage comme engloutisseur d'espace.

 

 

Réveil matinal donc ce 18 Juillet. Il pleut à verses ! Même si cela est loin d'être facile, conditionné.e.s que nous sommes dans nos vies quotidiennes, nous allons essayer, au long de ce mois et demi, de nous affranchir du temps, des temps en fait : s'affranchir du temps qu'il fait et se coucher le soir sans se préoccuper de la météo du lendemain, s'affranchir du temps qui passe et savourer tous les instants sans avoir d'horaires à respecter. Un double luxe que nos vies ne nous permettent que rarement.

 

 

D'ailleurs, un rayon de soleil, le premier, le seul pour l'instant, vient de crever l'enveloppe désespérément grise enveloppant le Pustertal et les sommets environnants. Un coin de ciel bleu apparaît. Le signe du départ assurément.

 

 

Les premiers tours de roue correspondent toujours à un moment bien particulier, moment pendant lequel les sentiments les plus variés vont chercher à se bousculer : l'excitation devant l'inconnu (quoique l'utilisation de ce vocable soit très exagérée pour ce qui est de la route jusqu'à Toblach !), l'envie de faire demi-tour (« n'a-t-on rien oublié ? ») ou tout du moins de s'arrêter (déjà !) pour savourer l'instant, une légère anxiété aussi : on quitte sa vie "d'avant maintenant", sa vie "de tous les jours" pour une autre vie dans laquelle il nous faut entrer, un peu comme on enfilerait un costume pour entrer sur scène. La scène, c'est l'espace (malheureusement de moins en moins naturel) au milieu duquel serpentent, s'égaient, sinuent une route ou une piste, notre "costume" les vêtements dans lesquels nous sommes à l'aise pour pédaler.

 

 

Cette anxiété-là s'estompe bien vite pour laisser place à celle, plus "réelle", plus "sensible", liée à la forme physique. Eh oui ! Il nous faut pédaler pour avancer ! L'entraînement quasi inexistant que nous avons méthodiquement suivi au cours des derniers mois nous fait vite comprendre que nous devrons faire preuve d'humilité lors des premières étapes quant aux nombres de kilomètres parcourus.

 

 

Ҫa tombe bien : ce soir, nous avons décidé de nous arrêter à Sillian, en Autriche. Une première frontière de franchie, une !!! Même si je n'ai jamais eu beaucoup de sympathie pour les douaniers, j'en suis, comme Paolo Rumiz, à regretter ces passages de frontières qui matérialisaient mieux que la végétation ou les langues parlées le changement de pays. Un luxe d'Occidental pour qui la frontière ne représente rien de plus qu'une douane à traverser, toujours (ou presque, pour peu que le douanier soit de la race des zélés) sans encombre. Pas de chasse à l'homme (à la femme, à l'enfant) à redouter, d'expulsion à craindre, pas de vol en charter à subir.

 

 

Que retenir de cette mise en jambes sur les routes sud- et est-tyroliennes ? Le couple de Hollandais dans une minuscule voiture qui nous a klaxonné.e.s en nous faisant des gestes amicaux ? L'arrêt à Innichen, source de la rivière Drau (Drava) qui terminera sa course dans le Danube à … Osijek où nous sommes passé.e.s l'année dernière ? La dégustation de la première bière du voyage ? Le passage du Toblachsattel, premier col franchi ? La discussion, le soir venu, avec nos voisins de tentes, membres d'une famille de Dresde voyageant à vélo jusqu'en Italie ? La première balade digestive avant d'aller se coucher dans la tente ?

 

Tout ça sûrement, mais plus encore : tout ces petits riens qui font que l'on a enfilé petit à petit (mais pour de bon !) notre "costume" de voyageurs à vélo.

 

 

 

 

Sillian (Autriche) – Dellach (Autriche)

 

 

Direction plein Est aujourd'hui. Inconsciemment, peut-être sommes-nous parti.e.s à la recherche du lieu où le soleil renaît chaque matin ? Et cette quête commence tout de suite (après un copieux petit-déjeuner tout de même !) par l'ascension d'un col, le premier "vrai" du voyage tant celui d'hier fut … comment dire ? … plat ! : voici donc le Kartitscher Sattel. Oh ! Il n'est pas bien impressionnant avec ses 450 mètres de dénivelé, ses 4,8 % de pente moyenne et ses 1526 mètres d'altitude. Juste ce qu'il nous faut pour (re)trouver le rythme de croisière qui nous permettra d'optimiser notre dépense énergétique.

 

J'avais, à ce sujet, lu que, muni d'une bicyclette, l'être humain bénéficie du meilleur ratio « distance parcourue / dépense énergétique ». Meilleur en tout cas que celui des meilleurs animaux dans ce domaine à savoir le martinet et le saumon !!!!

 

 

Point de martinet ni de saumon au sommet du col, juste du vent … de face, des odeurs d'herbe humide fraîchement coupée et un grand bonheur d'être là, maintenant, bien vivant.e.s !

 

 

Sur trente kilomètres, la descente dans le Lesachtal s'avère usante puisqu'entrecoupée de raidillons frôlant les 15 %. Ҫa n'est jamais très long, aussi ne trouvons-nous jamais notre rythme : à essayer de monter dans l'élan et en force, on se retrouve « pendu.e.s » en plein milieu de la pente ; à vouloir monter en moulinant, on passe un temps fou à gravir ce qui nous semble si court !!!

 

Autant dire que la tête se fatigue autant que les jambes … voire plus !! Heureusement que la vue des vertes prairies, agrémentées d'une myriade de petits chalets en bois (pour stocker l'herbe coupée ?, pour héberger des lutins autrichiens, cousins des trolls, korrigans ou autres laminiaks ?, pour cacher des amours interdites ?), adoucit cette partie du parcours !

 

 

On pique-nique dans le petit village de Liesing. Nous voilà entouré.e.s d'individus, patchwork linguistique étonnant dans ce village perdu, se déplaçant avec des étuis plus ou moins volumineux à la main : l'analyse de leurs formes biscornues (des étuis pas des personnes !) répond à nos questionnements et récompense notre perspicacité : ce sont des musiciens participant à un séminaire. Venu d'une ferme avoisinante, un chant accompagné de notes mélodieuses va finir d'améliorer le contexte de ce repas tout autant frugal que bucolique.

 

 

Dernière montée, dernière descente … Eh non ! Il reste encore une remontée ! Décidément, il est plus facile de monter en étant sûr de monter plutôt que de monter lorsque l'on devrait descendre. Devise que les Shadoks qui, tout en pompant, avaient oublié d'être bêtes n'auraient pas reniée et qui prouve bien que c'est la tête qui décide …

 

 

Nous voilà à présent à Kötschach-Mauten : l'heure dequelques courses (comme souvent, fromage, tomates ou concombres, barres chocolatées, pain, soupe, … ) dans le supermarché du coin puis recherche d'un endroit où poser la tente. Ce soir, ce sera à Dellach dans un champ proche d'une ferme, champ dans lequel gambadent et caquettent quelques poules.

 

Le fermier a installé un bloc WC / douches en bordure du-dit champ. Le paradis, quoi !!!

 

Le plafond très bas ce soir, les mimiques du fermier et la « discussion » entamée avec son fils trisomique me font penser, à tort évidemment – quoique !! - , à ce must de l'humour et de l'auto-dérision autrichienne qu'est l'excellent film Bienvenue à Cadavres-les-Bains (Der Knochenmann).

 

 

Deuxième jour de voyage donc. Je consigne quelques informations dans le journal de bord. Histoire de se remémorer, de garder une trace … même si je sais pertinemment que ce qui a réellement du prix lors de ce voyage restera gravé en mémoire que ce soit écrit ou pas.

 

Toujours le même dilemme : faut-il écrire quelque chose, faut-il prendre des photographies ?

 

Nous avons pris l'option de répondre « oui » à ces deux questions. Toutefois, pour le second point, nous ferons tout, évidemment, pour vivre l'aventure plutôt que de nous prendre en photo en train de la vivre.

 

 

Comme nous sommes installé.e.s de bonne heure, je vais même débuter la lecture du livre qui voyagera avec moi cet été : Balkans-Transit de François Maspero : magnifique récit (on m'en avait parlé avant et cette lecture le confirmera) relatant le voyage de l'auteur et du photographe Klavdij Sluban entre Adriatique et Mer Noire, entre Durrës en Albanie (tiens, tiens !!!) et Sulina en Roumanie.

 

 

Entamer cette lecture me ravit d'autant plus que le livre que j'avais emporté lors du précédent voyage entre Belfort et Istanbul était resté bien au fond des sacoches quarante jours durant.

 

J'en était même arrivé à la conclusion que la lecture pouvait être incompatible avec le voyage. Que voyager implique d'être tellement en éveil, à la recherche d'un contact avec les autres, à l'écoute de la nature, à l'écoute de soi et de ses sensations, … que lire ne pouvait qu'être une activité (très) facultative. Tellement facultative qu'elle passait systématiquement à la trappe après une journée de vélo au grand air, les discussions, le montage de la tente, la préparation et la "dégustation" du repas et que fermer les yeux pour repasser le film des journées précédentes et imaginer les suivantes semblait une plus agréable manière d'occuper le temps resté libre plutôt que de lire quelques lignes.

 

 

Le livre choisi y fait beaucoup assurément et je fus comme happé par ce road-book balkanique tout aussi érudit que plein d'humanisme.

 

 

Je me rappelle aussi un autre livre que j'avais adoré lire en voyage à vélo : c'était lors d'une semaine à travers l'Aubrac et la Margeride que j'ai découvert les Dix petites pièces philosophiques de Giacomo Leopardi. Communion entre ce que je vivais et ce que je lisais.

 

D'ailleurs, il me semble que la lecture et le pédalage présentent de nombreux points communs : la résistance aux côtés utilitaristes de tant d'activités contemporaines (Internet et les voyages en avion en sont les meilleurs exemples) et la volonté de s'adonner à une pensée méditative puisque, comme l'a écrit Danièle Sallenave au sujet de la lecture approfondie, le voyage à vélo peut aussi être vécu comme « une construction de soi, lente, silencieuse, à la fois tragique et apaisée. »

 

 

 

 

Dellach (Autriche) – Wertschach (Autriche - près de Nötsch im Gailtal)

 

 

Il a plu toute la nuit, il pleut encore ce matin. Dans ces moments-là, s'affranchir d'un timing serré est un luxe que nous apprécions comme il se doit. Nous nous occupons donc en attendant que les conditions soient un peu plus agréables pour rouler.

 

 

Toutefois, rouler sous la pluie n'est pas, loin de là, une expérience traumatisante (pour peu qu'il ne fasse pas trop froid quand même !). Au propre comme au figuré, on se sent lavé.e. de la couche poussiéreuse qui nous encombre bien souvent : poussière des habitudes, des conventions, … poussière de la vie quotidienne qui, trop souvent, nous empêche de savourer ce que nous vivons. Sans compter que rouler sous la pluie me laisse généralement dans un état de douce fatigue et de béatitude que ni le grand beau temps ni les journées grises et plombées ne permettent d'atteindre.

 

Apprendre à apprécier les jours de pluie. Comme l'avait dit, un photographe (dont j'ai oublié le nom) entendu à la radio : "rien de vaut une jour de pluie pour faire de jolies photos de pluie !".

 

 

La route que nous empruntons en cette fin de matinée est bien tranquille, sans trop de circulation et … plate ! Nous traversons Hermagor. Qu'en dire ? Rien de spécial !

 

A vélo, côtoyer de très près les talus des routes révèlent les petits et les grands secrets d'une région, d'un pays, un peu comme si l'on ʺs'amusaitʺ à fouiller les poubelles.

 

De-ci de-là, des compacts-discs semblent nous raconter des histoires inouïes.

 

- Ça va pas ! On ne va quand même pas écouter cette merde ! Hop ! Jette-moi ça par la fenêtre !

 

Ou alors :

 

- Oh, non ! Et moi qui croyait que ce groupe jouait du punk ! Beurk ! Pas de métal dans ma voiture !

 

Ou bien :

 

- Tu vas pas bien, toi ! Je vais quand même pas faire manger à mon auto-radio un cd qui n'est pas vendu à prix libre et qui, en plus, n'est même pas sérigraphié ! Zou ! Du balai !

 

Ce que nous voyons dans les bas-côtés est aussi révélateur des mentalités et des habitudes de consommation des autochtones : outre les immuables sacs "Mc Donald's", on y trouvera surtout et quel que soit le pays des canettes de bière à profusion, exception faite de l'Autriche où la boisson houblonnée est remplacée par le … Red Bull, production locale oblige !!!

 

 

Après avoir étudié la carte comme un gendarme les papiers du véhicule lors d'un contrôle en rase campagne à 3 heures du matin, nous jetons notre dévolu sur le Presseggersee (un lac, comme son nom l'indique !) pour en faire notre lieu de pique-nique.

 

Malheureusement, tous ses accès sont payants ! Nous vivons quand même une époque formidable dans laquelle tout DOIT se payer, même les accès à la nature. Bientôt, nous devrons certainement payer l'air que nous respirons ! C'est donc cela la marchandisation du monde !

 

Il ne nous reste plus qu'à faire en sorte que tout ce qui n'a pas de prix nous soit le plus cher …

 

 

Evidemment, nous zappons le lac et stoppons, le ciel devenu à nouveau très menaçant, sous le porche d'une église ou d'une chapelle. Mon inculture dans le domaine ne me permet pas vraiment de faire la différence. En tout cas, nous sommes abrité.e.s. Merci "mon" Dieu !

 

Préparation du repas sous l'œil mi-amusé mi-circonspect des rares promeneurs passant devant nous.

 

Vue directesur un élevage de chevaux. Nous regardons les chevaux, les chevaux nous regardent. C'est beau ! Sérieux ! C'est trop beau ! Du Richard Clayderman en fond sonore et on arriverait à pleurer d'émotion … Pouf ! Pouf !

 

 

Après le traditionnel aliment devant contenir au moins 75% de cacao qui termine tout repas, nous repartons en empruntant quelques temps une piste cyclable. Nous la quittons bien vite. En effet, dans de nombreux endroits, j'en arrive à penser que leurs concepteurs haïssent les cyclistes ou sont sadiques ou n'ont jamais fait de vélo ou … les trois à la fois !

 

Alors que la route toute proche est plate, absolument plate, la voie cyclable escalade le moindre mamelon, redescend dans la moindre combe et ainsi de suite …

 

Trois cents mètres à environ 15 % de moyenne nous nous extirpons de notre "trou" et empruntons de nouveau sur la route principale.

 

 

D'ailleurs, les pistes cyclables en site propre m'ont toujours gêné car elles représentent une manière de nous rendre invisibles aux autres usagers de la route. En tant que cyclistes, nous avons autant le droit d'emprunter les axes principaux que les usagers motorisés. Une manière comme une autre de leur montrer que nous existons bel et bien !

 

 

Belle descente jusqu'à Nötsch im Gailtal. Arrêt à l'office du tourisme - mairie - commissariat de police. 3 en 1 !!! De quoi repérer bien vite les éventuels touristes à la mine patibulaire !!! Et bien "huiler" les rapports entre la population et les autorités !!!

 

 

Ce soir, nous dormirons à Wertschach, 4 kilomètres plus haut. Vue panoramique.

D'un côté, le massif du Triglav, plus haut sommet des Alpes Julienness, la partie la plus orientale des Alpes et de l'autre, le massif du Dobratsch surplombant Villach.

 

Nous sommes aux confins de trois pays : encore en Autriche ce soir, nous repasserons en Italie demain pour terminer la journée en Slovénie.

 

Savoir à quoi ressemble la montagne du Triglav ? Rien de plus facile : il suffit de trouver un drapeau slovène. Vous voyez la montagne à trois pointes qui y est représentée ? C'est ça, le Triglav !

 

Le spectacle qui s'offre à nos yeux ce soir est de toute beauté : le Triglav passe par toutes les teintes du spectre allant du jaune au rouge. Le ciel flamboie. On admire, on savoure. Peut-être que d'avoir parcouru tout ce chemin pour vivre ces instants nous rend-il plus réceptifs mais nous sommes toutefois étonné.e.s de constater que nous sommes seul.e.s à nous laisser subjuguer par ce spectacle hors du commun. J'en viens à imaginer que les habitants du cru sont blasés … Qui sait ?

 

 

Il suffit parfois d'être loin de chez soi pour apprécier des moments qui nous auraient paru bien fades dans notre environnement. Comme si le voyage impliquait un changement de regard, une attention plus accrue, une faculté d'émerveillement exacerbée.

 

Deux expériences vécues me reviennent en mémoire.

 

Lors d'un précédent voyage, j'étais parti de chez moi et j'avais parcouru, dans les premiers kilomètres, des routes qui me sont parfaitement connues : les trous, les bosses, les marquages au sol, les indications kilométriques sur les bornes, les instants où la vue se dégage dans telle ou telle direction, … je connaissais tout, absolument tout par cœur (j'aurais même été capable d'admirer le paysage … les yeux fermés !) si bien que, généralement, je n'y prêtais plus aucune attention.

 

Eh bien, d'avoir endossé ma "panoplie" de voyageur avait transformé la vision que je pouvais avoir des choses : tout me paraissait nouveau, émouvant et beau !

 

 

De la même manière, il m'est souvent arrivé de m'enthousiasmer pour des paysages bien connus … parce que j'accompagnais des ami.e.s qui les découvraient et qui me transmettaient leur émotion.

 

 

Demain, tout sera nouveau : on va entrer en Slovénie, un pays où je n'ai jamais mis les pieds, ni les roues d'ailleurs ! Un morceau de l'ex-Yougoslavie …, le premier à s'en être détaché.

 

 

Le spectacle crépusculaire et gratuit (celui qui a donc le plus de prix pour nous) est terminé. Sous un tapis d'étoiles (il paraîtrait que l'on peut en distinguer 6 000 à l'œil nu), direction la tente dans laquelle la nuit sera certainement sereine et douce.

 

 

 

Wertschach (Autriche) – Dovje / Mojstrana (Slovénie)

 

 

La nuit fut effectivement sereine et douce.

 

Surprise au réveil.

 

Après ces quelques journées bien grises depuis le départ, enfin le grand soleil et un ciel bleu limpide ce matin !

 

De ces matinées pendant lesquelles l'air semble si pur qu'on imaginerait volontiers que quelqu'un a fait le vide dans l'atmosphère terrestre.

 

Les occupations matinales deviennent petit à petit plus organisées et plus rapides. Je pense enfin me souvenir où sont rangées les différentes affaires dans les différentes sacoches.

 

Rien de plus irritant, au début, que de tout vider pour trouver (ouf !) le dentifrice ou le sel ou le sac à viande ou les socquettes ou que sais-je encore …

 

 

Un minimum d'organisation s'impose. Pour moi, cela se limite à une répartition judicieuse des éléments transportés : les sacoches à l'avant rassemblent tout ce qui concerne la cuisine, à l'arrière, la chambre et la salle de bains.

 

 

Activités matinales : habillage, petit-déjeuner, toilette, rangement des affaires dans les sacoches, pliage de la tente et fixation du sac étanche la contenant sur mon porte-bagages.

 

Voilà, nous sommes prêt.e.s.

 

 

Juste quelques petits kilomètres et nous franchissons une nouvelle frontière pour pénétrer de nouveau en Italie. Tarvisio. Son supermarché, son magasin bio où j'ai acheté un pain délicieux. Beaucoup de touristes, des randonneurs à pied, beaucoup de voitures aussi. Il est temps de se diriger vers la Slovénie et Kranjska Gora.

 

La route devient bucolique, serpente dans les bois puis à travers les prairies verdoyantes. Les différents tons de vert des sapins, des prés, le gris des rochers environnants, le blanc, le jaune, le rouges des fleurs. Un régal pour les yeux !

 

 

Nous passons tout près du village de Podkoren, célèbre pour le tremplin de saut à skis de Planica, le deuxième plus grand du monde.

 

C'est en ce lieu (sur un autre tremplin plus petit) qu'un sauteur, en 1936, dépassa pour la première fois la longueur de 100 mètres pour quelques secondes en apesanteur, dans l'air, sur l'air comme nous le sommes à présent séparé.e.s du sol par nos chambres à ...air.

 

 

A quelques encablures de là, nous pénétrons dans ce haut-lieu touristique slovène qu'est Kranjska Gora.

 

 

Rien ne vient véritablement différencier cette commune de toute autre petite ville au pied des montagnes, que ce soit en Suisse, France, Autriche ou Italie.

 

Des touristes partout (mais beaucoup moins de Japonais qu'à Grindelwald au pied de l'Eiger, du Mönsch et de la Jungfrau !), des chaussures de randonnée partout, mais que la montagne est belle … quand même !

 

 

On trouve un petit parc tranquille pour le repas du midi.

 

Pour l'après-midi, plusieurs options sont encore possibles : se poser dans le coin et, pour ma part, gravir le Vršič pass, un col difficile qui permet de rejoindre la vallée de la Soča ou alors chercher un camping un peu plus avant dans la vallée.

 

 

Il existait, autrefois, un camping à Kranjska Gora mais celui-ci a été remplacé par un complexe hôtelier certainement bien plus rentable !

 

Nous privilégions donc la deuxième solution. On suit la piste cyclable qui est, en fait, l'ancienne voie ferrée reliant Ljubljana à Tarvisio. On s'arrête au village suivant : Mojstrana. C'est juste à côté que nous allons installer notre campement du jour.

 

 

Il est tôt cette après-midi, aussi vais-je en profiter pour prendre la route/piste qui mène au départ des sentiers de randonnée menant dans le massif du Triglav. Les premiers kilomètres sont à la fois paisibles et bucoliques : on suit le cours d'un ruisseau, tiens, une cascade à droite, tiens, la route n'est plus goudronnée, tiens, un papillon multicolore, tiens … un panneau indiquant une pente de 25 % !

 

La suite est moins paisible, il me faut appuyer fort sur les pédales mais l'absence des sacoches rend ma progression moins dure qu'elle n'est réellement. Je "m'écoute", j'essaie de ressentir chaque muscle, de ressentir chaque inspiration, chaque expiration, … si bien que je "sens" que quelque chose se passe, comme un déclic.

 

Physiquement, je sais maintenant que cela ira mieux les jours suivants. La piste se termine lamentablement par un parking au milieu des arbres : des voitures, un car, des randonneurs … polonais, je crois, quelques mots incompréhensibles échangés. Aucune vue sur les alentours. Confirmation du fait que, très souvent, plus l'on s'approche d'une montagne, moins on la voit ! Les montagnes ont donc ceci de commun avec les problèmes que bien les appréhender nécessite souvent soit de la hauteur soit de la distance.

 

 

Je retourne à la tente, heureux quand même, prends le nécessaire et pars me doucher avant que l'orage n'éclate. Brrrr, l'eau est froide, … très froide ! Sûrement vient-elle directement de la montagne ! En tout cas, je ne me résoudrai jamais à payer pour de l'eau chaude !

 

Ensuite, je profite d'Internet à la réception pour jeter un coup d'œil aux éventuels e-mails qui n'auraient pas manqué d'atterrir dans ma boîte depuis le départ. J'ai, avant celui-ci, contacté un certain nombre de personnes susceptibles de nous aider pour l'hébergement au cours du voyage.

 

Internet comme il y a 20 ans : dix minutes pour le téléchargement d'une page, et le petit sablier qui ne cesse de me narguer … autant dire que j'arrête très vite sans avoir vérifié ce que je souhaitais !

 

 

L'orage daigne éclater enfin. Vite, sous la tente ! Nous attendons la fin … en cherchant vainement l'endroit d'où la toile laisse passer l'eau goutte à goutte ! Nous laisserons nos suppositions en plan, il est plus que temps d'aller se restaurer.

 

Nous avons remarqué un endroit surmonté d'un toit sous lequel trônent une grande table et deux bancs. Un must ! Nous partageons la table du repas avec une famille française qui poussera la gentillesse jusqu'à nous offrir une verre de Bordeaux ! On savoure ! On discute également. Questions rituelles : « D'où venez-vous ? » A l'annonce de notre réponse, aucun rictus particulier sur le visage de nos interlocuteurs/trices … L'Italie ? Quoi de plus normal ! Puis : « Où allez-vous ? » A ce point, on notera systématiquement, c'est selon, soit de l'incrédulité soit de l'envie.

 

Dans le premier cas, l'imaginaire lié à l'Albanie reprend tous les poncifs habituels : la mafia, les trafics, un pays qui vient tout juste (et encore !) de sortir du Moyen-Âge et, pour les plus érudits de nos interlocuteurs/trices, le kanun (dont je parlerai plus tard). Autant dire que, si on les écoutait, il vaudrait mieux ne pas chercher à y aller !

 

Dans le second cas, c'est surtout le mois et demi de voyage qui tente tant : pour la majorité des personnes, les vacances se résument à 15 jours, 3 semaines loin de chez soi pendant lesquelles il faut faire le maximum de choses avant de retourner au travail …

 

Alors, vous pensez … deux mois d'affilée !

 

Je me souviens d'ailleurs du moment où nous sommes arrivé.e.s à Istanbul l'année dernière, terme de notre périple qui avait débuté à Belfort et qui avait longé (en grande partie) le Danube grâce à l'Eurovélo 6. A Istanbul donc, installé.e.s au bord du Bosphore en train de grignoter des gâteaux et de savourer l'instant (à moins que ce ne fut l'inverse !), nous avons vu arriver un autre voyageur à vélo. Nous sûmes plus tard qu'il s'agissait d'Emilio Rigatti qui revenait d'un périple en Turquie. Une des premières questions qu'il nous posa fut : « Alors vous êtes riches ou vous êtes enseignants ? »

 

Eh oui, tout le monde ne peut pas se permettre de prendre deux mois de vacances tous les ans en été !!!

 

De retour en France, j'eus l'occasion de lire son excellent livre en italien intitulé La strada per Istanbul relatant un de ses précédents voyages.

 

 

En attendant, nous sommes en Slovénie dans un petit village au pied des montagnes et cela nous plaît beaucoup de savoir que nous allons voyager jusqu'au pays des aigles en traversant une grande partie des Balkans, cette partie d'Europe dont les différences et les singularités nous attirent tant !

 

 

En tout cas, ces différences, on ne les a pas du tout ressenties depuis notre entrée en Slovénie. Tout est encore comme chez nous …

 

Vivement la suite !!!

 

 

 

 

 

 

 

Dovje / Mojstrana (Slovénie) – Bohinska Bistrica (Slovénie)

 

 

A notre réveil, la tente est trempée. Une fois de plus ! J'ai passé pas mal de temps cette nuit à compter et recompter les jours, à prévoir les étapes, … pour arriver le samedi soir à Železniki où aura lieu le Krawal festival. Finalement, je suis arrivé à la conclusion que je me suis … trompé de jour dans le décompte des étapes … et qu'il nous en reste donc deux pour rejoindre ce lieu de perdition !! Nous sommes en avance !

 

Ce décompte complexe (!!!) me permet de me rendre compte qu'il ne m'a fallu que quelques jours pour ne plus savoir quel jour nous sommes. J'y vois un signe encourageant. La croûte qui nous enkyste à longueur d'année est en train de craquer de toute part. Nos envies construisent notre calendrier, notre agenda, notre timing.

 

 

Pour la suite immédiate du voyage, plusieurs options s'offrent à nous : rester dans la "plaine" et passer par la ville de Kranj ou alors se diriger vers les lacs et les montagnes, franchir un col et … redescendre de l'autre côté.

 

Après avoir pesé le pour et le contre, le contre et le pour, le moyennement pour et le très très contre, le très très pour et le moyennement contre, l'attrait des paysages d'un côté, la facilité des déplacements de l'autre, nous choisissons … le trajet escarpé ! Evidemment !! On ne se refait pas. J'ai aussi plaisir à voir dans ce choix une critique de notre monde puisque, comme l'écrit Cédric Biagini dans L'emprise numérique, "le capitalisme préfère des individus dominés par leurs pulsions, préférant la vitesse à la lenteur, constamment impatients, qui choisissent toujours la voie la plus efficace et préfèrent la facilité à la complexité."

 

Cette journée sera sous le signe de l'eau. Non pas celle qui tombe (un peu de répit en ce début de matinée) mais celle qui coule ou qui stagne. Ainsi, jusqu'à Jesenice, nous longeons la Sava aux eaux d'un vert tout autant émeraude qu'envoûtant.

 

Et dire que cette rivière se jette dans le Danube à Belgrade ! Encore de quoi se remémorer le voyage de l'année précédente !

 

 

A Smokuc, Karin évite de justesse … le facteur à vélo … une sorte de Jacques Tati du coin !!! Elle en profite pour lui demander notre chemin : à force de suivre une petite route (puisque la principale était interdite aux vélos), nous avons l'impression de nous éloigner de Bled, lieu de passage que nous avions biffé sur la carte. Virage à droite à 90°, cette fois-ci nous sommes dans la bonne direction.

 

Bled : son lac, son île (c'est d'ailleurs la seule de Slovénie !) sur laquelle trône une église, son château perché, son établissement thermal. Un fleuron du tourisme slovène.

 

Nous décidons donc de ne pas y rester trop longtemps …

 

Nous suivons à présent la vallée de la Sava Bohinjska (ou Savica - "petite Sava"), vallée qui va nous conduire jusqu'à Bohinjska Bistrica, terme de l'étape du jour.

 

C'est là que nous apercevons notre première "machine à lait" : une boîte métallique du type "Photomaton" auprès de laquelle on vient remplir de lait (normal me direz-vous judicieusement, puisque je l'ai appelée "machine à lait" !) la bouteille en verre dont on n'aura pas oublié de se munir.

 

 

Nous nous installons au camping (très cher le camping !!) et décidons de poursuivre, allégé.e.s de nos pesantes sacoches, jusqu'à l'autre extrémité du Bohinjsko jezero (jezero voulant dire lac en slovène) où se situe une fameuse cascade. Cette cascade, d'une hauteur d'environ 60 mètres, est en fait la source de la Savica : les eaux pluviales s'infiltrent dans un véritable gruyère que représente le massif karstique de la région … pour ressortir plus bas. Comme dans le massif du Jura quoi !

 

 

La route traverse une forêt qu'on prend plaisir à croire enchantée : de gros rochers un peu partout, des arbres majestueux et une lumière un peu féerique (du moins lors de notre passage !). Une courte averse nous stoppe. Passage à proximité d'un camping dans lequel tous les emplacements nous semblent en pente ! La route s'élève maintenant de manière plus prononcée. Des bus transportent des hordes de touristes vers ce site qui doit être remarquable … vu le nombre de véhicules garés sur le parking aménagé qui marque la fin de la route. Nous attachons les vélos et devons poursuivre à pied pour atteindre la cascade. 5 minutes plus tard, nous voilà devant un petit chalet et un tourniquet de type Métropolitain à partir duquel … le chemin devient payant ! On rêve ! Sachant que ce passage permet aussi l'accès aux chemins de randonnée menant au massif du Triglav, cela veut dire qu'il faut payer pour randonner ! Mais qu'attendent donc les décideurs/aménageurs en France ? Une nouvelle manne leur tend les bras !

 

A n'en pas douter, les initiateurs du projet des "Balcons du Mercantour" ( projet heureusement mort juste après être né) avaient dû en entendre parler et chercher à s'en inspirer ! Dire que l'idée était de créer des chemins quasiment plats (accessibles par télécabine) en haute altitude, sentiers agrémentés de refuges proches les uns des autres afin de permettre à une riche (mais peu sportive) clientèle de découvrir les joies de la randonnée en moyenne et haute montagne. Restez donc dans vos palaces à Cannes à siroter vos cocktails sur la terrasse du Martinez ou du Carlton !

 

 

Pas de doute non plus sur le fait que nous soyons toujours en Europe Occidentale où tout se paie, où tout a un prix. Heureusement que, comme je l'ai déjà écrit, tout ce qui nous est cher n'a pas de prix ! Jusqu'à quand ?

 

Les Slovènes, en bons élèves de l'Europe, apprennent très vite. Malheureusement !

 

 

Nous faisons donc demi-tour sans avoir vu la cascade. Elle n'en est que plus belle … en imagination ! Nous ne sommes même pas déçu.e.s … d'autant plus que nous nous arrêtons quelques instants plus tard au bord du lac. Baignade. Le regard et l'esprit dans le vague, on se laisse bercer par les tentatives tout aussi désespérées qu'innombrables d'un jeune s'essayant à la planche à voile. Des touristes prennent des photos du lac, des photos d'eux devant le lac, des photos d'eux dans l'eau du lac jusqu'aux chevilles, des photos d'eux dans l'eau du lac jusqu'aux genoux, …

 

Nous ne pensons à rien … ou à presque rien : juste le plaisir de savourer de tels instants, vides et pleins à la fois.

 

 

Retour au camping : la route en faux-plat descendant ainsi que la légère brise soufflant dans notre dos transformeront ces dix derniers kilomètres en pur plaisir : sensation de voler ou plutôt de pédaler sur un tapis d'air.

 

Et je m'imagine en cycliste-automate tel que le dépeint si bien Maurice Leblanc dans Voici des ailes : "Non, c'est un seul être, un automate d'un seul morceau. Il n'y a pas un homme et une machine. Il y a un homme plus vite."

 

 

Après le repas du soir - sempiternel rituel consistant à ingurgiter (slurp ! Slurp !) une quantité plus ou moins importante de soupe ou de pâtes ou de polenta - je décide de retourner à la réception vérifier l'éventuelle arrivée de messages importants (?) via Internet. Un potentiel client du camping s'enquiert du prix de l'emplacement pour une nuit avec une caravane. Ayant eu l'information, il me fait sourire en demandant au réceptionniste s'il ne lui a pas donné le prix à l'année. Quand je vous disais que c'était cher !!!

 

 

 

Bohinska Bistrica (Slovénie) – Železniki (Slovénie)

 

 

 

Encore une fois, l'orage a grondé toute la nuit. Le temps est complètement bouché ce matin. Des lambeaux de nuages défilent le long des crêtes rendant l'atmosphère cotonneuse mais aussi quelque peu lugubre. Hier soir, nous avions visuellement repéré le col que nous allons franchir aujourd'hui. Ce matin, il est remplacé par un immense amas meringué … Autant dire, qu'encore une fois, nous ne sommes pas pressé.e.s de partir !

 

On emporte la cuisine portative (les deux sacoches avant, donc !) pour s'installer non loin de la Sava Bohinska et savourer notre petit-déjeuner : tisane, céréales, pain et miel.

 

Nous rencontrons ensuite un Danois vivant en Norvège, le Viking parfait avec ses gigantesques moustaches grisonnantes. Comme nous, il voyage à vélo : parti de Biarritz, il a traversé les Pyrénées, les Alpes jusqu'à l'Adriatique et rentre maintenant chez lui.

 

On lui expose notre projet avec enthousiasme (chouette ! Quelqu'un qui s'y intéresse !), enthousiasme qu'il douche rapidement en nous expliquant que l'Albanie, bof, bof, les routes, bof, bof, les gens, bof, bof, … C'est le premier (qui, en plus, parle d'expérience) à nous tenir de tels propos. Ce ne sera pas le dernier !!!!

 

 

Nous décidons quand même de continuer (!!!!), direction le Sud-Est. Ce soir, nous serons à Železnici où se déroule un festival punk : le Krawal festival. Mais avant cela, il nous faudra gravir le Bohinjsko sedlo qui, malgré ses 1277 mètres, semble être un "beau morceau" !

 

Avant de partir d'Italie, j'avais consulté, sur certains sites spécialisés, les profils de quelques cols que nous étions supposés gravir.

 

Le Bohinjsko sedlo en faisait partie. 13 kilomètres d'ascension, une pente moyenne à 5 %, mais surtout 5 derniers kilomètres à environ 9% de moyenne et une pente maximale de 14% ! Jusqu'à Nemški Rovt, la route nous autorise un échauffement tout en douceur mais un panneau "12%" vient vite nous enjoindre d'appuyer à la fois plus souplement et plus énergiquement sur les pédales. L'alchimie parfaite de la pédalée de l'escaladeur. Une averse vient de se déclencher au loin dans la vallée que nous dominons maintenant. Au delà de celle-ci, les nuages bas courent encore le long des crêtes et flirtent avec la cime des arbres. Ambiance humide et cotonneuse !

 

La route se fait un peu plus plate et nous tournons à droite pour les cinq derniers kilomètres d'ascension, les plus durs. Un groupe de jeunes scouts belges (mais que font-ils ici perdus en pleine forêt ?) nous encouragent en français et se moquent gentiment tout à la fois. La pente est sévère mais, petit à petit, inéluctablement, nous nous approchons du sommet. Il pleut maintenant, l'occasion pour nous, une fois de plus, d'enfiler nos imperméables.

 

La forêt s'éclaircit, la pente s'adoucit enfin, des chalets apparaissent : le sommet.

 

Malgré le temps frais et la pluie, nous décidons de nous arrêter ici, histoire de savourer l'instant et de confronter nos sensations : une ascension en commun, de concert, où chacun se dit que l'autre éprouve le même plaisir, les mêmes difficultés, …

 

Même si ce sentiment de communion est bien illusoire, il est quand même bien agréable de se dire que l'on a souffert (un peu !) ENSEMBLE.

 

L'arrêt au col fut évidemment plus court qu'on ne l'aurait souhaité. Aucune visibilité sur les sommets environnants, une ambiance un peu lugubre qu'égaient (?) des structures métalliques en piteux état qui servent, à n'en pas douter, à remonter en haut des pistes des hordes (?) de skieurs alpins. Car nous sommes toujours dans le massif des Alpes, à son extrémité la plus orientale : les Alpes Julienness.

 

Quelques photos tout de même et maintenant : la descente.

 

Début en forêt, puis d'un coup et simultanément, les arbres et les nuages disparaissent. La vue devient magnifique : le vert des champs dans lesquels trônent les séchoirs à foin verticaux si caractéristiques de la région, le bleu du ciel, le blanc des maisons et de l'église de Sorica, tout incite à la quiétude et à la contemplation.

 

 

Quelques kilomètres plus loin, nous voilà interdit.e.s (autant que le passage) devant une barrière coupant totalement l'accès à la suite de notre trajet. Des panneaux indiquant des travaux et la mise en place d'un déviation nous avaient bien rendu méfiant.e.s auparavant mais, comme généralement, le vélo permet de s'affranchir de ce genre de contraintes, nous n'en avions pas tenu compte.

 

Après analyse de la situation (et de la barrière), il s'avère que cet obstacle est franchissable … si l'on escalade légèrement le talus.

 

Passé.e.s de l'autre côté de la barrière, je poursuis seul et pars en éclaireur pour inspecter la zone de travaux (traversable ou pas ?) et la barrière … barrant la route à l'autre extrémité de la zone de travaux (franchissable ou pas ?).

 

La descente est très rapide, j'atteins l'endroit où la route se transforme en une piste encombrée de cailloux. On est en train de raboter la montagne pour éviter les chutes de pierres. Ok, ça doit passer ! Je ne vais même pas jusqu'à la barrière finale, trop de pente à remonter déjà !

 

 

Après que je sois remonté, nous voilà à nouveau réuni.e.s pour entamer la descente. La zone de travaux : OK ! La suite de la descente : OK ! La barrière de fin de travaux : pas OK du tout !!! Un mur à gauche, un talus vertical à droite et cette barrière toute orange qui nous nargue avec ses deux mètres de hauteur !

 

Rapide estimation de la situation et recherche des solutions … à éliminer pour commencer : faire demi-tour, trop dur. Et de toute façon, j'ai horreur de faire demi-tour ! Appeler un hélicoptère, trop cher. Construire une catapulte, trop long.

 

Nous retirons toutes les sacoches des vélos et les passons une par une au-dessus de l'obstacle. Hop ! Hop ! Hop ! … Autant de fois qu'il y a de sacs et sacoches, c'est-à-dire 8. Au tour des deux vélos maintenant. En (dés-)équilibre au-dessus du parapet et de trois mètres de vide. Voilà, c'est fait ! Sans crainte d'exagération trop manifeste (encore que ...), je peux dire que nous sommes sauvé.e.s !

 

 

Fin de descente paisible et arrivée à Železniki. La chape grise nous est à nouveau retombée dessus rendant cette vallée encaissée encore plus glauque qu'elle ne doit l'être par beau temps. Je suis un peu dur quand même... Qui n'a jamais remarqué que le moindre rayon de soleil améliorait grandement la perception que l'on peut avoir d'un lieu quel qu'il soit ?

 

 

Le lieu du festival repéré, nous voici donc à errer quelque peu dans cette petite ville sans véritable centre ni attrait, à la recherche d'un lieu où nous pourrions passer – au sec – quelques instants. Un café très quelconque fera l'affaire : mobilier genre Ikea, serveuse et clients style "discothèque branchouille" (autant dire que nos vélos dans la cour font un peu "tache" au milieu des voitures de sport "tunées") mais prix relativement doux !

 

On opte pour une bière : une temno točeno. Traduction : une brune pression.

 

Je laisse mon cerveau faire remonter à la surface des images des jours précédents et je savoure ; le départ me semble si loin maintenant … alors que nous n'avons parcouru "que" 350 kilomètres ! Toujours la confirmation que le dépaysement et l'idée de voyage commencent véritablement au pas de la porte.

 

 

Il est maintenant temps de retourner à l'entrée du village pour investir le lieu où se tiendra le Krawal festival : une demie-grange pour la scène, l'autre moitié pour le bar, un champ pour le camping, que demander de plus ?

 

Nous montons la tente et profitons du temps encore sec pour nous restaurer. Ouf ! Juste à temps ! Il se remet à pleuvoir ! Entre deux gouttes, je file vers le lieu du festival. Contre quelques pièces, on m'affuble d'un bracelet jaune et rouge sur lequel est imprimé plusieurs fois : "Krawal festival". Le sésame. Quelques groupes slovènes ou croates à l'affiche, mais aussi les Catalans de Totälickers (que j'avais déjà rencontrés à Marseille quelques mois plus tôt) et les Anglais de Murder of Crows.

 

Je pars à la recherche de Špela qui doit nous aider pour l'hébergement du lendemain à Ljubljana. La première personne à qui je demande ne la connaît pas mais me propose de … hurler son prénom dans l'assistance … ce qu'il fait avec une joie non dissimulée !!! Pas de réponse ! Ma deuxième tentative est la bonne : mon nouvel interlocuteur la connaît bien et me dit qu'elle ne viendra pas à cause de la météo épouvantable ce soir. Il m'indique toutefois la route à suivre demain.

 

Je rencontre alors Jani, un des organisateurs, qui m'offre bien volontiers de son limoncello fait maison. Délicieux !!

 

D'autres discussions plus ou moins enrichissantes dans une ambiance tout aussi bon enfant qu'humide !!! Je présente à Santi, le chanteur de Totälickers, mon projet de livrets en 25 langues. Il est prêt à m'aider pour les traductions en catalan. Chouette !!

 

Nous échangeons également nos impressions sur le fait de voyager : même si, avec nos vélos, nous n'avons pas de planning bien défini, nous suivons quelque peu le rythme du groupe en tournée : départ au matin, la route la journée, arrivée le soir, rencontre de nouvelles personnes et … la même chose le lendemain avec, quelquefois, un sentiment de frustration, frustration de n'avoir pas pris suffisamment le temps. Certes, nous voyageons environ un mois et demi mais, paradoxalement, le temps nous manque quand même : notre boulimie de découvertes nous incite peut-être à voir trop grand, trop loin … alors qu'il faudrait (sûrement ?) privilégier des rencontres plus approfondies aux distances parcourues.

 

Dans "Microcosmes", Claudio Magris a poussé ce raisonnement à l'extrême en devenant quasiment une voyageur … immobile !!! J'arrêterai là mes circonvolutions quelque peu oiseuses en disant que voyager immobile à vélo, c'est … la chute assurée !!!!

 

Retour au concert ...

 

Les groupes se suivent, alternant le bon et le moins bon, le meilleur restant pour la fin : Totälickers j'adore (même si - parce que - les chansons se ressemblent beaucoup) et Murder of Crows qui, avec son mélange de grind et de crust, aura terminé la soirée de la meilleure des façons. "Nuit" devrais-je dire plutôt que "soirée" : il est en effet 4 heures du matin lorsque je retrouve la tente. Il pleut toujours … et de plus en plus !

 

Le sommeil est difficile à trouver : sous une tente, il arrive toujours un moment où le bruit de la pluie devient une berceuse mais cela se produit après une période de latence plus ou moins longue. Celle de cette nuit est plutôt longue.

 

J'en ai un peu marre de cette pluie depuis le début du voyage. Je rêve de soleil, de chaleur, de journées insouciantes quant au choix des vêtements à porter …

 

Toute l'humidité du monde se déverse sur nous. Je pense à l’espéranto en ce moment. Je me souviens d'un cours où, partant du verbe "pluvi", nous avions "construit", "pluvegi" en ajoutant le suffixe augmentatif "-eg", puis "pluveti" avec le suffixe diminutif "-et", et puis "pluvetegi", et puis "pluvegeti"…

 

Soit dans l'ordre : pleuvoir beaucoup, pleuvoir un petit peu, pleuvoir beaucoup à petites gouttes, pleuvoir peu à grosses gouttes.

 

Et moi, sous la tente, à me dire : «En ce moment, c'est "pluvetegi". Ah non, c'est "pluveti" maintenant. Eh non, "pluvegeti" maintenant...». Comment faire pour s'endormir dans ces conditions ? Pourtant, aux premières lueurs du jour, je sens enfin une douce langueur m'envahir. Pour quelques heures seulement, un coup de tonnerre amplifié par l'étroitesse de la vallée mettant fin à cette parenthèse réparatrice.

 

 

 

Železniki (Slovénie) – Ljubljana (Slovénie)

 

 

De la pluie, de la pluie, de la pluie ! Nous décidons de laisser la tente, les vélos et les affaires dont nous n'avons pas besoin au milieu de ce champ en bordure de forêt pour nous réfugier sous une sorte de grange ouverte aux quatre vents (quelle fraîcheur ce matin !) mais doté d'un élément fort appréciable (et justement fort apprécié) : un toit !!!

 

C'est là que nous prenons notre petit-déjeuner, en bord de route, ce qui rend bien circonspects les rares automobilistes empruntant cet axe. Rester là, immobiles, nous frigorifie. Moulinets avec les bras, trépignements quasi-convulsifs, rien n'y fait. Le froid s'empare de nous !

 

Nous allons devoir bouger, quand même ! Quelques allers-retours entre la tente et notre abri pour rapporter les vélos, les affaires et enfin la tente. Je jette un œil à mon compteur/altimètre/thermomètre ; il ne fait que 12°C ! Tout emballer nous réchauffe un peu, si peu !

 

A l'orée du bois, gambadent une biche et ses deux petits. On oublie la pluie et le froid quelques secondes.

 

Autant prendre une averse en cours de journée ne mine généralement pas trop le moral, autant se mettre en route sous la pluie nécessite une certaine dose de volonté. Il ne s'agit pas là de s'armer de courage, n'exagérons pas, mais juste de trouver l'indispensable motivation pour quitter son abri bien au sec !! Et quelquefois, c'est dur !!!

 

On fait juste 500 mètres pour atteindre le Mercator du coin, représentant d'une fameuse chaîne de supermarchés de Slovénie. J'attends près du parking (à l'abri) et réponds par un sourire forcé aux regards compatissants des client.e.s venu.e.s faire leurs achats en ce dimanche matin.

 

 

Il pleut moins, profitons-en. Nouvelle grosse averse après 5 kilomètres. Un abribus. Une accalmie, on repart … pour 5 kilomètres à nouveau. Nouvel abribus. Nouveau départ. 7 kilomètres. Nouvel arrêt à Skofja Loka. Ce sera le dernier : marre d'avancer par sauts de puce successifs. Le plaisir de rouler s'inscrit avant tout dans la durée !!! D'ailleurs, nous sommes doublés par un cycliste, un vrai, qui a choisi de braver les éléments pour s'entraîner. Même pas un geste, un bonjour, rien !!! Nous nous déplaçons avec le même véhicule mais nous ne faisons décidément pas partie de la même planète !

 

 

Ouf ! Il ne pleut plus maintenant. Un rapide décompte nous confirme qu'il a plu 17 heures d'affilée !! Pas mal !! On approche de Ljubljana en empruntant des routes … interdites aux cyclistes. Bah, en cas d'interception par la marée-chaussée locale, on expliquera, sans trop croire toutefois à la crédibilité des raisons que nous avancerons, que l'on n'a pas vu les panneaux ou qu'on ne les a pas compris : un cycliste (ou juste un vélo, je ne sais plus) stylisé représenté sur le fond blanc d'un panneau rond cerclé de rouge. Difficile à interpréter, non ?

 

 

Les faubourgs de Ljubljana … Direction : le centre-ville. Quel calme en ce dimanche après-midi ! La ville semble comme assoupie. Seuls quelques groupes de touristes arpentent les rues bien proprettes le long de la Ljubljanica et de la Sava. On sent bien, même (ou surtout) dans l'architecture, les influences germaniques, slaves et latines qui ont nourri la ville au cours de siècles.

 

On cherche un plan afin de repérer le lieu où nous dormirons ce soir : le Tovarna Rog, une ancienne usine de bicyclettes (!!!) squattée. On y retrouve Špela et Jasmin qui nous accueillent de la meilleure des façons. On installe nos affaires dans le sleeping, nous prenons une douche chaude (rien ne vaut une douche chaude après une journée sous une pluie bien froide !!) et partons faire un petit tour en ville.

 

 

On s'offre un kebab dans le premier petit restaurant venu. Sensation à la fois bizarre et agréable de manger en étant assis sur une chaise !

 

La ville - ce qu'on en découvre en tout cas - semble ronronner. Il est vrai que ce dimanche après-midi pluvieux incite à la mélancolie, à la rêverie, à tout sauf à l'agitation frénétique bien connue de certaines capitales ou grandes villes occidentales.

 

 

Première grande ville du voyage.

 

Préparer un voyage, c'est aussi égrener un chapelet de noms de lieux par lesquels nous allons passer, où nous vérifierons (peut-être ?) que la réalité vécue correspond bien à ce que nous avons imaginé.

 

Ljubljana, Zagreb, Banja Luka, Sarajevo, Mostar, Dubrovnik, Kotor, Podgorica, Shkodër, Durrës, Tirana.

 

Voyager, c'est également remplir le vide entre deux noms de lieux, le remplir de rencontres, d'émotions, de découvertes, ... Ou même le remplir de petits riens qui changent tout dans une expérience comme celle-là.

 

 

A force d'errer dans la ville à la recherche de … rien de particulier, on atterrit de nouveau au Rog. On rencontre des Macédoniens de Skopje (la capitale de ce pays), potes des gens du groupe pop punk "Bernays Propaganda" que je connais également. C'est fou comme le monde est petit ! Rassurant en un certain sens mais aussi un peu décevant : le milieu "squat, DIY, punk, …" (autant d'étiquettes qui ne me plaisent pas vraiment d'ailleurs tellement la réalité de ce milieu est multi-facettes) a tout d'un microcosme. Ils nous parlent de la situation de leur pays, de la corruption, des tensions entre les différents groupes ethniques, de celles avec le voisin grec (la Grèce ne reconnaît pas le nom du pays, la Macédoine ne pouvant qu'être hellénique, d'où le terme FYROM – Former Yugoslav Republic Of Macedonia – utilisé actuellement). Si nous avons le temps, nous prévoyons d'aller y faire un tour.

 

 

Ensuite, je vais visiter le lieu, cette ancienne usine en pleine ville. Au milieu des tags, sur un mur, une pancarte de la municipalité de Ljubljana : "Gibanje in zadrževanje na območju nekdanje Tovarne Rog je na lastno odgovornost ! Staying at your own risk on the Rog factory area !" Au moins, nous sommes prévenu.e.s ! Là, un vieux vélo de la marque "Rog" traîne … la fin d'une époque ! J'ouvre de lourdes portes, découvre des coins et recoins plus ou moins sombres, du matériel de récup un peu partout. Derrière une autre porte des bruits sourds m'intriguent. Un escalier de bois que j'emprunte, de la lumière : j'arrive au bord d'un skate park intérieur gigantesque. En tout cas, il me paraît gigantesque puisque … les références me manquent, je n'en avais jamais vu d'autres !

 

Des skaters, rollers et riders en BMX défient les lois de l'équilibre en rivalisant d'adresse. Même si cet univers m'est complètement étranger, je n'en éprouve pas moins une certaine fascination. Je suis comme happé, hypnotisé par ce ballet incessant et ça n'est qu'au bout de longues minutes que je consens à retourner dans la pièce commune où nous allons grignoter deux-trois bricoles.

 

 

Puis vient le concert du soir, audience clairsemée, ambiance "pépère" en ce dimanche soir. Encore une fois … Murder of Crows suivis de Totälickers. Fatigué.e.s de l'étape sous la pluie du jour, nous nous esquivons rapidement après le concert et rejoignons "nos" matelas dans le sleeping. Première nuit hors de la tente depuis le départ. Sentiment étrange : nous n'avons pas monté notre abri de toile, nous n'avons pas mangé en plein air assis par terre autour du réchaud à gaz. Sommes-nous à ce point conditionné.e.s que le moindre changement puisse autant affecter notre quotidien ? Je n'ose le penser. Le voyage est aussi là pour déconstruire un certain nombre d'habitudes, de rituels dont nous n'avons même plus conscience au cours de notre vie "de tous les jours".