Ljubljana (Slovénie) – Otočec (Slovénie)

 

 

Après cette douce nuit au sec, nous petit-déjeunons sans faire trop de bruit pour ne pas réveiller les autres personnes qui, elles, se sont couchées beaucoup plus tard. Je trouve de l'huile qui va me permettre de graisser la chaîne et les dérailleurs de nos vélos qui en ont bien besoin. On salue les réveillé.e.s et hop ! A nous de nouvelles routes, de nouvelles aventures, de nouvelles rencontres !

 

Ljubljana le lundi matin est à peine plus effervescente que le dimanche après-midi. On sort de la ville en empruntant la piste cyclable qui serpente sur le … trottoir entre les arbres, les abribus, les panneaux indicateurs, les feux tricolores, ... : autant dire que l'attention est à son comble et la progression aussi poussive qu'inintéressante !

 

On tourne rapidement à gauche à la sortie de la ville pour suivre la direction de Grosuplje. Ouf ! La piste cyclable se termine ici ! A l'entrée de cette ville, nous stoppons au bord d'un rond-point en construction pour admirer une dernière fois, en nous retournant, les Alpes Juliennes avec le massif du Triglav. La neige certainement tombée hier et avant-hier recouvre les plus hauts sommets. C'est beau, … tout simplement beau !

 

Les paysages dans lesquels nous progressons aujourd'hui ne nous laisseront pas un souvenir impérissable : on se croirait dans le Territoire-de-Belfort que l'on connaît si bien ! Paysages ruraux sans charme, des champs, des petits villages, des fermes isolées. Toute la journée, nous aurons à portée de regard l'autoroute A2, tronçon de la route européenne E70 qui relie dans un premier temps La Corogne en Espagne à Varna en Bulgarie pour ensuite, se perdre jusqu'à Poti en Géorgie après avoir "traversé" la Mer Noire. Quel beau périple ce serait également !!!

 

 

On décide d'avancer un peu avant de satisfaire à la corvée des courses. J'écris "corvée", mais cette idée de corvée s'amenuise de jour en jour : les étals sont autant de livres ouverts sur de nouvelles cultures, de nouvelles habitudes alimentaires, …

 

Et comme souvent, à force de se laisser bercer par l'harmonie du pédalage, on laisse passer l'heure de fermeture de la pause méridienne si bien que le repas (et particulièrement aujourd'hui) consistera surtout à terminer ce qu'il nous reste, ce qui revient un peu à manger dans n'importe quel ordre quelques aliments qui auraient mérité une meilleure présentation ou préparation.

 

 

Repas rapidement englouti donc sur le parking d'une ferme cette fois, ferme faisant également office de magasin de produits horticoles et de jardin. Pas envie de chercher un coin plus sympa, de toute façon, on n'en a pas vu ! On profite des toilettes du lieu et on s'imperméabilise … puisqu'il se remet à pleuvoir.

 

Peu de rencontres, la route est peu fréquentée, les villages déserts ou quasiment. La route est vallonnée juste ce qu'il faut pour perdre en monotonie ce que nous ne gagnerons pas en fatigue exagérée.

 

Trebnje. Ville sur laquelle il n'y a franchement rien à dire ! Je ne rajouterai donc rien … si ce n'est que j'y suis allé dépenser quelques euros en échange de substances solides en mesure de nous sustenter.

 

Nous approchons de Novo Mesto. Y passer ou pas ? Une telle décision tient souvent à peu de choses : la vision de hautes cheminées d'usines au loin par exemple. Le ciel gris et bas du jour ne nous incitant pas au tourisme industriel (c'est beau une usine dans le gris pourtant, non ?), nous poursuivons en direction d'Otočec.

 

 

Arrêt tout près du château de la ville, le seul entouré d'eau de Slovénie. Et pour cause, il est construit sur une île artificielle au milieu de la rivière Krka. Château transformé aujourd'hui en un hôtel 5 étoiles avec terrain de golf adjacent. Les énormes et luxueuses voitures garées devant, aux plaques allemandes, françaises, … sont autant d'insultes à la simplicité volontaire qui guide nos roues.

 

A la lecture d'une brochure, on peut apprendre qu' : "entre passé et présent, dans un havre de paix où l’esprit du passé se mêle à merveille au rythme de la vie contemporaine, le château d’Otočec, savamment rénové, offre une ambiance qui a su préserver le caractère et l’authenticité des lieux. Situé sur une île au beau milieu de la rivière Krka, cet endroit magique vous offre un moment de repos au cœur de la nature et de l’histoire culturelle slovène. Appréciez la douceur d’une balade matinale bercée par le chant des oiseaux, jouez une partie de golf inoubliable sur un des meilleurs terrains en Europe, dégustez un dîner gourmet à la lueur des chandelles, un délicieux verre de vin que vient seulement troubler le crépitement du bois dans la cheminée… Tout ici, jusqu’au personnel soucieux de répondre à chacune de vos attentes, concourt à votre bien-être".

 

Une preuve de plus que les publicitaires sont à ranger dans la famille des nuisibles !

 

 

Il est maintenant l'heure, pour nous, pendant que d'autres dégustent leur dîner gourmet seulement troublé par le crépitement du bois dans la cheminée, de sortir les affaires trempées qui, depuis deux jours, marinent et macèrent dans nos sacoches bien étanches. Autant l'étanchéité d'une sacoche s'apprécie à sa juste valeur … lorsqu'il pleut, autant elle devient pénalisante … quand l'humide est à l'intérieur.

 

Petit jeu de vocabulaire ce soir : on apprend à définir toutes les nuances de mouillé entre l'humide, le trempé, le détrempé, l'imbibé, le gorgé d'eau, l'humidifié, le peu mouillé, le mouillé-mouillé, …

 

La tente, elle, se classe dans la catégorie "trempée" et ce n'est pas ce soir qu'elle va sécher puisqu'il pleuvine encore à l'instant.

 

On l'installe tout au bord de la rivière, les cygnes et les canards seront nos voisins cette nuit.

 

Une accalmie nous permet de profiter d'un excellent repas, nous aussi, le crépitement du bois dans la cheminée en moins mais la lueur de nos lampes frontales et le bourdonnement des moustiques en plus : soupe de potimarron, tofu, fromage, banane (la première pour moi depuis des dizaines d'années), café bien fort et chocolat Ritter Sport (ah !! Celui avec de la pâte d'amande à l'intérieur !!). Le pied intégral !

 

 

Balade digestive. Nous n'aurons pas rencontré beaucoup de monde aujourd'hui, nous n'aurons pas discuté avec beaucoup de monde aujourd'hui. Cependant, il fait si bon certains jours de ne pas se sentir obligé.e.s de parler avec qui que ce soit. Le cas ce soir !

 

 

Petite balade digestive donc, mais rapide la balade, l'air est toujours fraîchement vif et rien ne vaut, dans ces cas, le moment voluptueux où l'on se glisse dans son sac à viande puis son sac de couchage. Voilà, c'est fait ! Bonne nuit.

 

 

 

 

Otočec (Slovénie) – Zagreb (Croatie)

 

 

Encore une fois, l'effort vespéral consistant à repérer la course du Soleil pour placer la tente à l'endroit judicieux, celui où les premiers rayons matinaux viendront lécher la toile et ainsi, nous réveiller en nous entourant d'une douce chaleur, cet effort donc connaît une totale inefficacité puisqu'il fait gris ce matin. Encore ! A croire que cette couleur grise est inhérente à la Slovénie !

 

On a beau se dire et se répéter que l'on ne doit pas laisser le blues transformer notre voyage en procession expiatoire d'on ne sait quelle faute (on pourrait toutefois trouver en cherchant bien !), il faut bien reconnaître, qu'à la longue, le moral commence à donner des signes avant-coureurs d'une petite sinistrose doublée d'un fatalisme mal venu pour qui veut, comme nous, voyager loin en profitant de tout.

 

 

La réception/bar de l'endroit où nous avons passé la nuit semble être ce matin le lieu de rendez-vous de tous les papys du village en quête de collègues de discussion. On ne comprend évidemment pas autour de quoi tournent les discussions même si un journal ouvert sur la table nous laisserait supposer que c'est ici le "Café du Commerce" local où l'on décortique et analyse, à grand coup d'affirmations péremptoires et de proverbes issus de la soi-disant sagesse populaire, les nouvelles du jour. Peut-être vaut-il mieux ne pas comprendre ce qui se dit ? …

 

 

Même si nous ne savons pas l'heure qu'il est, nous savons qu'il est maintenant l'heure de partir. Nous longeons la rivière Krka. Des champs, des villes sans trop d'âme, des lignes droites sans fin. On traverse le village de "Dobe", un signe ? Aux abords d'un rond-point, je remarque, collé sur un poteau indicateur, un petit autocollant sur lequel la célèbre coquille sur fond bleu signale un des chemins pour Saint-Jacques-de-Compostelle. Des petits riens qui font que cette journée, a priori pas follement passionnante, va permettre à nos sens, malgré tout, de rester en éveil.

 

 

A force de longer la Krka, on s'approche résolument de sa confluence avec la Sava. Leurs deux eaux, de couleurs bien différentes, se mélangent aux abords de Brežice où nous stoppons pour la pause méridienne.

 

 

Ce soir, nous serons à Zagreb et dormirons chez Siniša que j'avais contacté il y a quelques mois via le site Internet "Warmshowers" qui permet de mettre en contact des voyageurs à vélo avec des personnes susceptibles de les héberger.

 

Sans nouvelles de lui après quelques e-mails envoyés en cours de route, je dois faire le nécessaire pour savoir ce qu'il en retourne pour ce soir. Trouver un ordinateur connecté à Internet devient la tâche primordiale du moment.

 

Direction l'office du tourisme : fermé ! Mais, dans le hall, un ordinateur trône, là, seul, sans surveillance, sans caméra pointé sur lui ! Il est, en plus, connecté ! Un rapide passage par le contenu de ma boîte mail confirme ce que j'avais fini par pressentir ou supposer : Siniša ne peut plus nous accueillir ce soir. Problèmes de santé. Hop ! Le site "Warmshowers". Trois personnes vivant à Zagreb sont référencées. Je les appelle en expliquant la situation : voyage à vélo, bla, bla, Zagreb ce soir, bla, bla, hôte qui fait faux bond, bla, bla, et … la troisième, Snejžana, accepte de nous héberger ce soir chez elle !

 

Aussi simple qu'un coup de fil !

 

 

Maintenant que cela est réglé, il est temps de se restaurer puis de visiter rapidement cette petite ville de Brežice : sa délicieuse rue principale bordée d'habitations de style baroque, son pont de plus de 500 mètres sur lequel nous avons traversé la Krka et la Sava, ses deux châteaux : celui du XVIe siècle qui a su résister tout autant aux invasions turcs qu'aux révoltes paysannes de l'époque et son château d'eau (transformé en pub) surmonté d'une étrange tourelle à colombages.

 

 

Derniers kilomètres en Slovénie maintenant. Comme un signe, le soleil daigne transpercer la couche de nuages. Voilà Rigonce, le dernier village avant la frontière. Des douaniers, les premiers du voyage. Comme d'habitude, la carte d'identité de Karin intrigue : c'est quoi comme pays, le Südtirol ? Maintenant qu'ils connaissent la réponse, ils peuvent nous laisser passer. Nous traversons alors Harmica, le premier village croate de ce voyage.

 

 

La Croatie. Nous n'avions fait qu'effleurer le pays l'année dernière en y restant deux jours seulement (et une nuit à Osijek). La vision de Vukovar avait été une image forte de ce premier voyage dans les Balkans : ses maisons détruites et vides, ses immeubles habités faisant penser à des morceaux de gruyère tellement ils sont criblés d'impacts, son château d'eau comme symbole de l'absurdité de la guerre et des idées de certains hommes politiques. Le passage avait toutefois été égayé par la rencontre de mariés, elle en robe blanche, lui en costume noir – tradition oblige -, mais arborant chacun une superbe paire de "Converse" blanches aux pieds !!!!

 

Voilà pour l'image de Vukovar : la vie malgré tout … sur un champ de ruines.

 

 

Notre arrivée à Zagreb ne nous laisse pas la même impression … loin de là ! Le centre, atteint après environ 10 kilomètres d'une route à 4 voies bien fréquentée, est vivant, jeune et animé. Des terrasses de café partout, toutes bondées de surcroît !

 

Nous prenons le temps de découvrir la ville, au hasard comme bien souvent. C'est tellement plus agréable de se laisser guider par ce qu'on peut peut-être nommer son instinct plutôt que de suivre les pistes (trop) balisées des (trop) nombreux guides touristiques.

 

En tout cas, toujours se sentir prêt.e.s pour de nouvelles découvertes, rencontres, visites … D'ailleurs, s'il est bien un endroit que l'on se doit de visiter dans la capitale croate, ce sont les … toilettes publiques ! Gratuites - avec de nombreux rappels officiels en croate et anglais nous enjoignant de ne rien payer, jamais, dans ces lieux - et dotées des dernières technologies : tout est automatisé, aseptisé (les cloisons, toilettes, lavabos, … sont en inox) et propre. Pas de doute, les toilettes du futur se trouvent dans les rues de Zagreb. J'imagine bien les brochures de l'office du tourisme mettant en avant cet argument imparable de manière à attirer les visiteurs par ici !

 

Une bière et encore un passage aux toilettes plus tard (profitons-en !), l'heure est maintenant venue de rejoindre Snejžana à l'endroit convenu en plein centre de Zagreb, sur la place principale.

 

Nous attendons en comptant les tramways passant devant nous. Ils semblent à l'image de la ville, de la Croatie peut-être, pour ce qu'on en connaît. Des rames en piteux état se traînant dans un bruit de ferraille assourdissant en côtoient d'autres, flambant neuves et accoutrées de publicités gigantesques vantant les supposés mérites de produits inutiles que la société de consommation aura vite fait de faire acheter à ces nouveaux accrocs au shopping.

 

Le marché est d'autant plus porteur qu'il fait suite, je l'imagine en tout cas, à de longues années de frustration (quand les images venant de l'Ouest étaient autant de miroirs aux alouettes) puis de peur pendant les guerres balkaniques. La consommation comme exutoire …

 

 

Snejžana arrive vers 20h45. Il fait déjà quasiment nuit.

 

Elle habite sur les hauteurs de Zagreb, aussi est-ce avec toutes les peines du monde que nous essayons de ne pas perdre sa roue … puisqu'elle se déplace également à vélo.

 

Ouf !!! Nous sommes enfin arrivé.e.s !

 

Elle nous présente son chien Onni, un swiss sheperd tout blanc (pléonasme ?!). Nous nous installons près de ce qui sera notre lit ce soir, à savoir le canapé. Une bonne douche plus tard, nous devisons sur ce qui occupe nos vies respectives. Snejžana nous apprend que l'un de ses projets est un tour du monde avec son chien pour sensibiliser les gens au problème de l'abandon des animaux domestiques. Sera-ce à vélo avec Onni dans une remorque ? Ou bien en side-car ? Rien n'est encore défini mais on sent, à l'écouter en parler, que la volonté de s'engager dans un tel projet est bien présente.

 

 

Deux années plus tard, je la retrouverai entre Cagnes-sur-Mer et Mandelieu, moi de retour à la maison, elle partie avec Onni pour son tour du monde de trois années. Comme elle l'avait prévu (beaucoup de gens avaient pourtant essayé de l'en dissuader), elle circule à vélo, son chien Onni dans une remorque à l'arrière.

 

 

Au cours de cette soirée à Zagreb, elle nous parle aussi de "ces petits joueurs deFrançais" qui étaient venus en Croatie participer à un trail (course à pied en montagne) de 100 kilomètres et qui avaient rapidement abandonné après avoir constaté … qu'il fallait s'orienter seul.e.s à l'aide d'une unique carte puisque le circuit n'était pas balisé sur le terrain ! Elle avait mis 33 heures pour rallier l'arrivée … sans dormir évidemment !

 

 

Quelques heures de discussion, un repas avec des pâtes (le carburant du cycliste) et un thé sur la terrasse plus tard, direction le canapé.

 

Snejžana se lève tôt demain, histoire d'aller courir avec Onni avant de partir travailler. Une forcenée !!

 

 

 

Journée à Zagreb (Croatie).

 

 

Cela fait maintenant 10 jours que nous sommes parti.e.s. Dix jours déjà, tout passe tellement vite, peut-être trop vite : les lieux, les gens rencontrés, les petites joies, les grandes émotions, … Dix jours seulement, le jour du départ semble tellement loin maintenant. Nous vivons une expérience de contraction et dilatation simultanées du temps. Nous sommes un peu devenu.e.s des alchimistes, des magiciens du temps !

 

 

Premier jour de repos donc. Nous lambinons sur la terrasse pour un savoureux petit-déjeuner en compagnie d'Onni. Les choix qui se présentent à nous (confiture ou miel, café ou thé, tasse ou bol, …) nous changent de la routine quotidienne. Cette pause bienvenue l'est d'autant plus qu'un soleil rayonnant parcourant lentement un ciel cristallinement bleu nous accompagne maintenant.

 

Comme notre hôte accueille d'autres voyageurs ce soir, il nous faudra trouver un autre toit. Nous décidons de partir en ville à vélo en laissant toutes nos affaires ici. Nous les récupérerons en fin d'après-midi lors de notre "déménagement".

 

Le cœur brisé, nous abandonnons Onni sur la terrasse. Il a fallu, au prix de ruses dont nous sommes un peu honteux, le laisser là, seul, pendant que nous refermions derrière nous la porte-fenêtre. De l'autre côté de la vitre, il nous regarde, l'œil interrogateur. Ayant compris qu'il avait compris, honteux, nous quittons la maison.

 

Journée de repos signifie rarement journée de tout repos … Nous passons dans quelques quartiers singuliers, celui de la cathédrale dénommé Kaptol, Gradec, quartier historique aux noms de rues écrits en allemand et en lettres gothiques.

 

Le marché Dolac et ses parasols rouges tous identiques nous allèche avec sa profusion de fruits, de légumes, de fromages, de miels, …

 

Nous optons ensuite pour la visite d'un musée : the Museum of Broken Relationships. Quelle drôle d'idée d'autant que nous aurions pu choisir le musée d'art naïf ou la galerie Strossmayer pour ne parler que des plus célèbres de la ville ! Des objets comme autant de symboles de ruptures anéantissant des histoires d'amour qui se voulaient – peut-être – "pour la vie". Le refrain est connu … : "Les histoires d'amour finissent mal, en général." De quoi, donc, illustrer la fameuse chanson des Rita Mitsouko.

 

Ces objets ont été offerts pas différentes personnes originaires d'un peu partout dans le monde. En plus de l'objet, ces êtres soudainement délaissés (ou ayant laissé quelqu'un, "victimes" ou "coupables") ont rédigé un texte. Tous ces textes, touchants, pathétiques, humoristiques, sombres, … en apprennent décidément plus sur la nature humaine que de longues études sociologiques !

 

 

Une petite peluche photographiée dans le désert iranien : "mon copain me l'a offerte en me parlant d'un tour du monde à vélo. C'est en Iran que l'on s'est séparés !" Gloups !!!

 

 

A la sortie du musée, nous nous séparons (!!) puisque je dois aller acheter une cartouche de gaz pour notre réchaud pendant que Karin se baladera en ville. Premier magasin de matériel de montagne : les vendeurs, désolés, m'apprennent qu'ils viennent de vendre la dernière et m'indiquent une autre adresse. Avant de partir, je leur demande s'ils ne connaissent pas un endroit pas cher où dormir ce soir. Leur première réaction est de m'orienter vers l'office de tourisme qui me donnera une liste d'hôtels … Légèrement désappointé, je me dirige vers la porte de la boutique. Juste avant que je la referme, Robert, un des employés, me propose, presque gêné, de dormir chez lui ce soir. J'accepte avec grand plaisir et rendez-vous est donné devant le magasin à 19 heures.

 

 

La cartouche enfin achetée, je retrouve Karin pour un dernier tour en ville avant de remonter chez Snejžana. Onni ne semble pas nous en vouloir. Cool !!! Après quelques photos (les traditionnelles photos d'avant-départ comme un moyen de dire qu'on s'est rencontré.e.s, qu'on a partagé de bons moments ensemble), nous filons vers la ville.

 

Nous retrouvons Robert qui nous explique que nous passerons la soirée et dormirons … dans l'appartement des parents de sa copine Eva. Dans un ancien immeuble proche du centre.

 

Sensation bizarre, toujours, de pénétrer chez des gens inconnus : les photos au mur, les décorations, le mobilier, la vaisselle, … autant d'éléments qui nous permettent, plus ou moins facilement, de nous imprégner de ces vies qui nous étaient étrangères quelque temps auparavant.

 

Elle, est professeure de violon en école primaire, lui, travaille dans le magasin où nous nous sommes rencontrés. Ce sont, comme Snejžana, des sportifs d'endurance : lui en triathlon, elle en marathon. A croire que tous les Croates ont besoin de telles activités, nécessitant des heures et des heures d'entraînement, pour oublier ce qu'ils ont vécu lors des années de guerre. Un moyen de clamer qu'ils sont vivants et qu'ils sont bien vivants, qu'ils sont durablement vivants.

 

 

Tout a été fait pour que l'on apprécie la soirée : Eva a acheté une montagne de nourriture, ils se seront excusé.e.s mille fois pour la petitesse de l'appartement, … Nous discutons, discutons encore, de la situation en Croatie, de leurs rêves, de leur métier, de leurs occupations, … si bien que l'heure, que l'on ne peut même plus considérer comme tardive, nous incite à rejoindre la position horizontale.

 

 

 

Zagreb (Croatie) – Sisak (Croatie)

 

 

La pluie nous a réveillé.e.s ce matin. Assis de nouveau autour de la table, nous discutons en savourant le petit-déjeuner préparé par nos hôtes. Ce n'est d'ailleurs pas un petit-déjeuner, c'est un festin : tout y est … et même plus ! Nous ne toucherons toutefois pas à la charcuterie … végétarisme oblige.

 

A leur plus grande joie, nous engloutirons tout le reste comme si nous savions déjà que nous ne mangerions pas à notre faim durant les jours à venir !! La suite de notre voyage devient alors le sujet de discussion. Sur la route de la Bosnie, on devrait s'arrêter ce soir à Sisak. Robert nous explique que cette ville est décidément très laide. Tant pis ! Cela nous rappellera peut-être Tatabanya, ville hongroise dans laquelle nous avions fait halte l'année dernière : la ville la plus laide que nous n'ayons jamais vue.

 

On en arrive à parler de l'Albanie, terme de notre voyage. Eva et Robert nous expliquent que ce pays d'un autre âge ne ressemble en rien à ses voisins, que le danger est partout, le long des routes, dans les campagnes, dans les villes, … que l'on ferait peut-être mieux de ne pas y aller … si l'on tient vraiment à la vie.

 

Ils termineront cette présentation apocalyptique en précisant … qu'ils n'y ont jamais mis les pieds !!! On respire !!!

 

Nous avions fait le même constat l'année dernière : dans les Balkans, l'habitant du pays limitrophe représente avant tout une menace. (En écrivant cela, je me rends compte que les Balkans sont loin d'avoir l'exclusivité de telles idées reçues !) Dès lors, quiconque n'a vraiment pas (plus ?) envie d'aller voir ce qui se passe de l'autre côté de la frontière.

 

Le Croate déteste le Serbe, le Serbe déteste le Bosniaque (surtout s'il est musulman), le Bosniaque déteste le Monténegrin, qui déteste le Macédonien, qui déteste le Bulgare, … Mais comment blâmer de tels comportements frileux quand on sait que la guerre vient tout juste de cesser dans cet endroit du monde ?

 

 

Le ciel est à l'unisson de ces discours négatifs : plombé, gris et triste. Il déverse sur la ville de quoi largement noyer notre désir d'ailleurs. Mais nous ne nous en laissons pas conter et profitons d'une courte accalmie ("Eh ! Vous ne trouvez pas que le ciel est plus clair de ce côté-là ? On voit presque la lueur du soleil à travers les nuages !!") pour rouler vers d'autres aventures.

 

Un boulevard infini en direction de l'Est. Sesvete, banlieue de Zagreb. Nous voulons rejoindre Ivanka Reka et les rives de la Sava pour suivre la rivière. Toujours suivre les rivières ou les fleuves, eux savent où ils vont. On se perd pour retomber sur une sorte d'autoroute interdite aux vélos. J'entre dans un magasin de revêtement de sols tout proche pour demander ma route. On appelle pour moi un employé parlant anglais. Il m'apprend que nous devons faire demi-tour sur quelques kilomètres. Nous sortons enfin de la capitale croate et … il se met à pleuvoir à verse. On s'abrite sous des arbres, nous nous équipons en conséquence et repartons en nous hâtant lentement (ou en lambinant rapidement). La route, défoncée et défigurée par de nombreuses zones de travaux, n'est, par endroits, qu'un vaste bourbier. Nous sommes sales, les vélos sont sales, la route est triste, les vélos sont tristes, nous sommes tristes. Après Oborovo, la route escalade la digue de la Sava. Nous voyons enfin les eaux de la rivière. Encore une occasion de se remémorer le voyage de l'été dernier. Souvenirs : nous sommes en Hongrie près de Dunafoldvar ; le Danube, imposant, progresse nonchalamment en offrant aux nombreux hérons ses rives verdoyantes pendant que, du haut de la digue, nous admirons ce spectacle bucolique et paisible.

 

A peine le temps de rêvasser que la pluie redouble. C'est au sprint que nous atteignons l'arrêt de bus de Lijevi Dubravčak, celui entre l'église et le café. Crotté.e.s, mouillé.e.s et refroidi.e.s, nous nous accordons une halte pour grignoter quelque chose. Même pas envie de bien manger. Nos deux vélos et nous, sous l'abribus, maudissons ces conditions décidément bien difficiles.

 

Translation de quelques dizaines de mètres pour passer du banc à une chaise de la terrasse abritée du café. Des hommes passent de la terrasse au magasin d'à-côté les mains vides puis opèrent le chemin inverse avec … une bière en canette à la main. Un bar où l'on va acheter ses bières dans le commerce d'à-côté. Nous ne comprenons rien aux discussions animées qui semblent n'exister que pour faire croire aux humains qu'ils font passer le temps utilement. Nous commandons deux cafés que nous savourons pendant que quelques rayons de soleil viennent relever le niveau du baromètre de notre optimisme.

 

 

Juste au moment de notre départ (car il faut bien partir un jour ...), un homme sur un vélo muni de sacoches vides arrive au café. On discute un peu. Rituels. D'où vient-on ? Où va-t-on ? On apprend qu'il habite tout près d'ici et qu'il se plaît à se balader dans la région en faisant quelquefois, nous précise-t-il avec fierté, jusqu'à 120 kilomètres par jour.

 

Il nous faut repartir. Petite route sur la digue toujours. Pas de circulation. Au bout de 2 kilomètres, un coup d'œil dans le rétroviseur me permet de constater que … Miro est à notre poursuite ! Miro, l'homme que nous venions de quitter, l'homme au vélo à sacoches et au maillot de l'équipe nationale croate de football.

 

L'appel de la route a été le plus fort ! Il arrive à notre hauteur pour partager un bout de notre voyage, pour rêver peut-être … Tout heureux de son judicieux conseil qui nous permet d'emprunter un raccourci non goudronné. La piste est détrempée, grasse. Nous sortons de là doté.e.s d'une couche de terre supplémentaire. Vivement la douche de ce soir !!

 

Traversée de la Sava. Il s'arrête là mais on sent bien que c'est à contre-cœur ! Photos rituelles, poignées de mains amicales, au-revoir.

 

Double rayon de soleil : venant du ciel et venant de cet homme qui n'a rien demandé sinon participer – un peu – à notre aventure.

 

 

L'arrivée à Sisak est proche, nous nous attendons au pire si bien que nous nous préparons au pire ! A notre grande surprise, la ville, à la confluence de la Sava et de la Kupa, ne possède assurément pas la laideur que l'on nous a "vendue". Nous découvrons au contraire une petite ville agréable mais endormie, agréable parce qu'endormie. Les rives sont toutefois animées par la présence de quelques terrasses de café.

 

Ne sachant pas trop où dormir ce soir, nous faisons un saut – quelle drôle d'idée ! vers la piscine de la ville. Je ne me souviens plus dece que j'y ai demandé. En tout cas, la réponse ne nous fut d'aucun secours.

 

Nous partons en quête de l'hôtel dont Miro nous avait donné l'adresse cet après-midi. Bien trop cher pour nous, nous cherchons ailleurs. Après avoir demandé, redemandé, reredemandé, nous atterrissons finalement dans un hôtel occupant le premier étage d'un restaurant. 225 kuna la nuit. Il ne nous en reste plus que 214 et nous quittons la Croatie demain matin. La patronne accepte notre deal.

 

La douche puis le repas du soir nous permettent de nous remémorer la journée écoulée : les rencontres, les paysages verdoyants, les villages sans charme et d'un autre temps, les maisons faites de planches de bois. Rien de spectaculaire. Mais cette absence, qui, par certains aspects, nous renvoie à certaines zones rurales de Franche-Comté, nous aura charmé.e.s justement par l'humilité que dégagent de tels paysages. Pas d'esbroufe, pas de paysages de cartes postales, rien que des lieux où les gens vivent ou essayent de vivre.

 

 

 

Sisak (Croatie) – Prijedor / Приједор (Bosnie-et-Herzégovine)

 

 

Aujourd'hui, nous allons quitter la Croatie. Traverser ce pays en forme de croissant de lune, pour peu qu'on décide de le faire d'Ouest en Est, ne représente jamais un très long voyage ! Déjà, l'année dernière, nous ne l'avions qu'abordé, entre Beli Manastir et Ilok via Osijek et Vukovar.

 

Peut-être un jour aurons-nous envie de découvrir les lieux plus touristiques de ce pays en longeant sa longue côte adriatique … ? Présentée comme cela, rien ne nous pousse à cette découverte aujourd'hui !

 

Je viens de parler de lune mais c'est de soleil que nous rêvons en partant ce matin. Crachin. (Crachin un jour, crachin toujours, serais-je tenté d'ajouter !)

 

Nous prenons la route de Sunja : paysages ruraux, fermes isolées dans la cour desquelles trône systématiquement un puits en état de fonctionnement, des villages sans charme surtout sous ce plafond triste et gris. Beaucoup de maisons portent les stigmates d'un passé bien récent sous forme d'impacts plus ou moins gros. Nous longeons maintenant une voie ferrée que les herbes folles tentent de phagocyter. Les trains ne doivent pas être bien nombreux dans cette zone frontalière. Nous arrivons à Sunja où nous devons choisir la route à prendre. Soit tout droit jusqu'à Bosanska Dubica (Босанска Дубица) ou alors tourner à droite vers Bosanska Kostanjnica (Босанска Костајница). La carte ne nous donne que peu d'indications. La couleur marron clair du fond de carte à cet endroit indique bien que ce sera plus vallonné à droite, mais vallonné comment ? Mystère !! Les joies de l'indécision … Cette fois-ci, notre GPS, bedonnant, circulera sur un cyclomoteur jaune. A notre air déconfit carte en mains, le facteur, car c'est de lui dont il s'agit, s'approche et s'enquiert de nos questionnements. Par forces gestes et grimaces, il nous fait comprendre que c'est beaucoup mieux tout droit. Nous choisissons de le croire !

 

Juste avant la frontière, nous nous arrêtons dans le magasin d'un village sans nom pour "dilapider" les 5 kune (soit environ 70 centimes) que nous avons retrouvés ce matin au fond d'une sacoche. Des hommes accoudés à des bidons sirotent des bières premier prix, un tracteur d'un autre âge traverse le carrefour, suivi d'une voiture en piteux état. Il bruine toujours. Tout, gens et choses, semble sur le point de s'écrouler et pourtant tout tient, tout résiste. Comme cette grange victime d'un affaissement de terrain en son centre et dont les extrémités relevées lui donnent une silhouette de bateau. Elle résiste, elle aussi.

 

Après bien des essais (qui n'auront même pas testé les limites de la patience et de la gentillesse de la vendeuse), il faut se rendre à l'évidence : ce ne sera pas crudités ET fromage. Nous repartons avec quelques tomates que nous découvrirons délicieuses par la suite.

 

 

Arrivée au bas d'une descente à Bosanska Dubica. Douane croato-bosniaque en vue, guérite croate pour commencer. Nous traversons l'Una, l'une des plus belles rivières du monde selon les autochtones. Son nom dériverait d'ailleurs du latin l'unique, tant les Romains, déjà, avaient su apprécier son eau d'une pureté que certains pourraient qualifier d'originelle. En suivant son cours, nous aurions pu arriver à Bihać. Ce nom si souvent prononcé ou écrit par les médias lors de la guerre en ex-Yougoslavie est aujourd'hui synonyme de base réputée pour le rafting. Les temps passent.

 

Douane bosniaque. Les premiers panneaux en cyrillique apparaissent alors.

 

Il faut savoir que, depuis les accords de Dayton du 14 décembre 1995, le territoire bosniaque agrège deux entités principales : la Republika Srpska (Република Српска), peuplée majoritairement de Serbes dont la "capitale" est Banja Luka (Бања Лука), et la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine, peuplée surtout de Bosniaques musulmans et dont la "capitale" est Sarajevo.

 

Si l'on rajoute le petit district de Brčko, on obtient la Bosnie-et-Herzégovine. Ouf !!!

 

L'alphabet cyrillique indique donc, pour ceux et celles qui n'auraient pas tout compris que nous sommes dans la partie du pays habitée par ceux et celles qu'on appelle les Bosno-Serbes (ou Serbes de Bosnie).

 

 

Dernière précision : les Bosniaques habitent la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine et les Bosniens la Bosnie-et-Herzégovine dans son ensemble. Double ouf !!!!

 

 

Nous voilà donc en Bosnie … à Bosanska Dubica exactement. Opération numéro un : trouver de l'argent local à savoir le mark convertible. Passage à la banque où l'employée explique à Karin que de voyageurs à vélo, elle n'en voit peut-être que 4 ou 5 par an tout au plus … Cela explique sûrement les regards en partie ahuris, en partie amusés, en partie juste incompréhensifs que les gens nous jettent ! Peut-être est-ce aussi le fait de "pique-niquer" à l'abri d'un arbre squelettique sur un banc en plein centre-ville !!

 

Question "gastronomie", nous sommes stupéfaits et ne savons quoi penser du parallélépipède caoutchouteux dont l'aspect et l'odeur se rapprocheraient du beurre, dont le goût n'est que salé et qui semble se vendre sous l'appellation de "fromage" ! En tout cas, nous l'avons acheté pour tel !

 

Beurk ! Il me semble plus mauvais encore que certains achetés quelques années plus tôt en Bulgarie.

 

Un café pour faire passer. Le garçon nous arnaque sans vergogne de 2 marks convertibles. Il a senti le touriste "plumable", mais Karin ne s'en laisse pas conter. Bienvenu.e.s en Bosnie !

 

 

Il nous reste maintenant 32 kilomètres pour nous rendre jusqu'à la prochaine grande ville : Prijedor. Toujours ces paysages ruraux sans beaucoup de charme. Mais sous ce ciel plombé quels lieux nos yeux trouveraient-ils agréables ? Ou plutôt, comment essayer de rendre agréable (ou moins désagréable) le reste du trajet ?

 

Une solution … parmi d'autres : plutôt que de regarder les arbres, les champs, les tas de foin, les maisons sans crépi (la spécialité locale), nous nous attardons sur les plaques d'immatriculation. Le contraste est saisissant entre les voitures immatriculées en Bosnie, vieilles, sales et peu nombreuses, et celles venues d'ailleurs (Suisse, Grande-Bretagne, Allemagne, Autriche, Suède, Etats-Unis, ...), plus grosses, plus neuves, plus propres.

 

Non, la Bosnie n'est pas un nouvel eldorado touristique, ça se saurait ! Ce sont plutôt les expatriés qui reviennent dans leur famille pour les vacances estivales. En pensant à tout cela, nous arrivons au sommet d'un col : le Madžari qui culmine quand même à … 286 mètres d'altitude. Une longue descente sous une pluie insidieuse et fine et c'est l'arrivée à Prijedor.

 

 

On fait le tour de la ville à la recherche d'un endroit où dormir ce soir. Un policier plein de bonne volonté mais nouvellement nommé dans le ville et ne la connaissant donc que peu essaie de nous aider. Sans réussite ! Nous décidons alors de prendre un verre en terrasse. Sait-on jamais, quelqu'un viendra peut-être entamer la discussion et nous proposer quelque chose ?

 

Malheureusement, c'est le moment choisi par toute l'eau du ciel pour se déverser à l'endroit où nous sommes, exactement.

 

Des passants surpris par la rapidité de l'averse traversent en courant (en nageant ? en surfant ?) la place centrale de style sovietico-sovietique. Nous sommes seul.e.s maintenant dans cette ville inconnue et nos verres respectifs vidés (ainsi que le dernier nuage), nous repartons le moral en berne à la recherche d'un lieu pour la nuit.

 

Trouver des personnes parlant anglais ou allemand est assez simple : il suffit de tomber sur un de ces expatriés qui a fui le pays à cause de la guerre.

 

Celui avec qui nous discutons maintenant vit en Suède. Il est bosno-serbe et nous écoutons son histoire en percevant combien les plaies ouvertes par les années 90 sont encore béantes.

 

L'hôtel de la ville (4 étoiles) nous semblant trop cher (30 marks convertibles tout de même soit environ … 15 euros), nous nous rabattons sur une location de chambres, tout ce qu'il y a de plus agréable. A coups de tapes amicales dans le dos (à me faire décoller un poumon !) et de poignées de mains bien viriles, le patron bourru finit par me paraître bien sympathique.

 

 

Après la douche bienfaisante, je pars faire quelques courses dans le quartier tout proche. Un petit commerce au rez-de-chaussée d'un immeuble : du pain, du fromage (meilleur, je l'espère) et quelques fruits. De quoi apprécier le repas du soir avec la polenta qu'il nous reste.

 

 

Je retourne à la chambre. Il est 19 heures 10. Le premier rayon de soleil de la journée vient lécher le sommet des immeubles dans une lumière orangée digne des plus belles apothéoses crépusculaires.

 

 

 

Prijedor / Приједор (Bosnie-et-Herzégovine) – Banja Luka / Бања Лука (Bosnie-et-Herzégovine)

 

 

La première réaction au réveil s'approche de : « Chouette ! On a peut-être une chance d'apercevoir le soleil aujourd'hui … après que l'épais brouillard matinal sesera dissipé ! » En effet, un immense édredon cotonneux a englouti Prijedor et ses environs ce matin, atténuant tous les sons, uniformisant toutes les couleurs et happant toutes les formes. Nous nous y jetons pourtant goulûment et de bonne heure (une fois n'est pas coutume !). La route empruntée au sortir de la ville nous semble importante de par sa largeur et la circulation matinale bien que nous soyons samedi.

 

Ah ! Tiens ! Nous sommes samedi ? Heureusement que l'écriture quotidienne de quelques lignes dans le journal de bord nous permet de suivre la longue litanie des jours qui passent, sans quoi nous en aurions depuis longtemps perdu le fil du temps.

 

Paradoxalement, même si chaque jour apporte son lot de découvertes, de rencontres, d'aléas, …, rien ne ressemble plus à un jour de voyage à vélo qu' … un autre jour de voyage à vélo.

 

En effet, c'est autour de rituels toujours semblables (j'adore les pléonasmes, surtout s'ils sont nécessaires !) que s'articule la journée : le petit-déjeuner, le rangement des affaires (qui prendra plus ou moins de temps en fonction de l'endroit où nous avons dormi), les kilomètres à vélo, le pique-nique méridien (même s'il est toujours beaucoup plus que midi lors de la pause), les kilomètres à vélo, l'installation pour le soir, le repas du soir et l'attente du sommeil (qui est, en général, extrêmement courte !).

 

 

Pendant que je pense à tout cela, peu à peu, le brouillard se dissipe et laisse apparaître là une colline (celle du Parc National de Kozara (Козара)), ici le minaret d'une mosquée (celle de Kozarac (Козарац)), là une usine, ici un chien qui aboie à notre passage. Grand soleil, grand ciel bleu.

 

Les kilomètres s'égrainent les uns après les autres, les uns semblables aux autres, les uns s'ajoutant aux autres, les uns renouvelant les autres. Etape de transition diraient certains commentateurs sportifs. En tout cas, l'exemple typique de l'expérience autotélique.

 

Quoi de plus beau que de s'impliquer dans des activités qui n'ont comme but ultime qu'elles-mêmes ? Aller à contre-courant de la pensée dominante qui veut que l'on choisisse ses ami.e.s, ses passe-temps, son comportement tout entier en fonction de ce que l'on aurait à y gagner.

 

Ici, rien de tout cela : rien que la satisfaction de pédaler pour … la satisfaction de pédaler !

 

Vivent toutes les expériences autotéliques !

 

 

Comme hier, nous franchissons, après un interminable faux-plat montant, un col qui n'a de col que le nom … que j'ai d'ailleurs oublié de noter et même de retenir. Arrêt tout près du village d'Ivanskaja dans une station-service. La tente que je viens de monter profite du parking et du soleil définitivement présent pour se faire sécher pendant que nous profitons, nous, des toilettes …

 

 

Descente en faux-plat cette fois-ci. Nous savourons l'instant présent. Peu d'effort, le soleil au zénith, une température optimale. Malheureusement, un dernier "mur" (700 mètres à 10%) nous ramène à la dure réalité du voyageur à vélo … avant tout tributaire des obstacles parsemant sa route.

 

Mais il bénéficie de ressources plus ou moins insoupçonnées : tout petit braquet, pédalage souple et c'est sans trop de fatigue que la plongée sur Banja Luka peut avoir lieu !!! Youpi !!! Il est 11 heures 30. Toute la journée est à nous !

 

 

L'heure de notre arrivée en ville me permet juste de trouver l'office du tourisme et d'y pénétrer peu avant la fermeture. Peu d'informations me sont données, la ville ne semblant pas vivre du tourisme. L'ombre des arbres du parc central abrite notre pique-nique du jour, pique-nique seulement troublé par le passage incessant de cortèges nuptiaux : des Mercedes mais aussi des limousines démesurément longues avec, le corps sorti par les vitres grandes ouvertes, des hommes et des femmes brandissant des drapeaux … serbes.

 

Nous sommes effectivement en Bosnie mais dans la partie serbo-phile, -phone – en tout cas : certainement pas -phobe !

 

Bien curieux ce pays dont la partitionne garantit absolument pas l'unité ! Une sorte de Belgique des Balkans aux tensions encore plus exacerbées.

 

Je reste assis là à surveiller les vélos pendant que Karin part à la découverte du centre-ville. Ses pas la mènent dans la cathédrale orthodoxe serbe du Christ-Sauveur où se déroule un baptême ou un mariage … ou les deux à la fois ! Difficile d'y comprendre quelque chose. Ensuite, traversée de la rue Godpodska, LA rue commerçante de la ville puis passage dans le marché couvert. Un endroit où bat le pouls d'une ville, d'une communauté. A son retour, nous partons tous les deux déambuler dans la forteresse qui s'appelle (bravo pour l'originalité !) Kastel. Ici exactement, la présence humaine est avérée depuis le Paléolithique. Sans remonter si loin, des déchets divers nous prouvent également qu'un festival y fut organisé la veille. Ensuite, nous retrouvons notre point de départ sous les arbres exactement. Il reste encore une bonne heure à tuer en attendant de rencontrer notre hôte de ce soir : Nathan, Américain qui occupe un poste de professeur d'anglais à l'université de la ville.

 

Karin souhaite profiter de ce temps disponible pour visiter le musée de la ville : comme le plan n'est pas conforme à sa véritable position, il lui est bien difficile de le trouver. Le gardien, surpris pour ne pas dire perplexe, accueille Karin : "Que vient donc faire une touriste ici ?". Il l'accompagne alors, la suit à la trace, allume les rares lumières (puisque tout était éteint, personne ne devant jamais visiter ce lieu !). Tout ça pour elle !!

 

Nathan nous a rejoint en ville et nous faisons agréablement connaissance devant une vulgaire bière blonde Bavaria à la terrasse d'un café dont la modernité rivalise avec le manque de charme.

 

A quoi occupe-t-on nos vies ? Comment se fait-il qu'un Américain atterrisse à Banja Luka ? Pourquoi voyager à vélo dans ce coin du monde ? Autant de questions qui permettent de commencer à débroussailler l'espace qui nous sépare encore sur le chemin de la compréhension mutuelle.

 

Pendant ce temps, Diana, l'amie russe de Nathan, est en train de nous préparer une spécialité culinaire de son pays. (Même si j'en ai oublié le nom, je me rappelle précisément que des feuilles de brick enveloppaient des tomates, du fromage et du persil. C'était excellent quoique gras …)

 

Nous nous dirigeons à pied vers son domicile. Un ensemble de petits immeubles sans charme. Les vélos en sécurité sous la volée d'escalier. Deux étages plus haut et nous voilà dans un intérieur confortable possédant tout le confort moderne.

 

La préparation du repas s'éternise un peu, aussi sont-ce les dix coups de dix heures qui marqueront le top départ de la dégustation.

 

Nathan parle évidemment anglais parfaitement bien (c'est sa langue maternelle) de même que Diana (elle l'étudie depuis longtemps), si bien que les comprendre et parler nécessitent une concentration de tous les instants, concentration que je ne suis capable de maintenir que pendant quelques dizaines de minutes. Dès lors, les mots, les phrases deviennent comme des bulles de savon virevoltant autour de ma tête. De temps en temps, l'une éclate (platch !!!) et je capte une bribe de phrase. Bien insuffisante toutefois pour m'immiscer dans la conversation. Je laisse honteusement Karin seule offrir le change, mon rôle consistant seulement à me montrer (faussement) attentif et poli, entouré de mes si agréables bulles irisées ! Il est des soirs comme ça au cours desquels on préférerait être seul.e.s, à discuter en tête-à-tête près de ou dans la tente. Celui-ci en est un, un des premiers depuis le départ !!!

 

Je me souviens juste que Diana aimerait poursuivre ses études à Maastricht et que Nathan … la suivra peut-être. Rideau.