Mercredi 9 Juillet : Le Châtel - Briançon (87 km)

Je me réveille dans le brouillard ... au sens propre ; en effet, pas question d'être dans le brouillard, aujourd'hui est LE grand jour, mon périple va atteindre son Everest : le sommet du col du Galibier.

Je quitte à regret mes hôtes et leur maison douillette d'autant plus que les prévisions météorologiques ne sont pas bonnes.

Je descends jusqu'à Saint Jean de Maurienne où je retrouve Bernard dans le train, Bernard qui retranscrit le carnet d'Aimé en BD et qui, afin de s'imprégner des ambiances, a choisi de parcourir cette étape avec moi. Pour être imprégnés, nous allons être imprégnés ...

Saint Jean de Maurienne. Son panneau d'entrée de ville : "ses musées, [...], capitale des cyclogrimpeurs". Rien que ça !

Tiens, je me souviens aussi de panneaux (artisanaux ceux-là) vus entre Faverges et Annecy : "non aux inondations". Et toujours cette volonté pour l'homme de dominer la nature !!!

Je suis vraiment heureux de retrouver Bernard : l'excitation de gravir ce col est décuplée par l'idée de la partager même un tant soit peu (car on ne partage jamais vraiment des émotions, chacun garde les siennes).

Saint Michel de Maurienne. Le temps est couvert mais toujours sec ... Le col du Télégraphe pour commencer. 12 km. On monte tranquille en ne profitant absolument pas du paysage bouché à cause du brouillard et des nuages bas. Peu de circulation.

 

" J'[...] attaque la côte du Télégraphe. Je monte mon petit bonhomme de chemin. Et ça chauffe, les bornes se succèdent. Heureusement la route presque tout le long en forêt est très ombragée. Je compte environ 1 kilomètre en 6 minutes. Il y a une quinzaine à monter. Le haut est un peu moins dur que les 6 premiers kilomètres. J'arrive au sommet du col. J'ai mis 1h20 et la côte va par endroit jusqu'à 12 % et plus.

Je tire deux photos. Prends mon pull et suis bientôt à Valloire où je déjeune, m'allonge un quart d'heure sur un banc et repars pour le Galibier."

Ainsi, en 79 ans, nous avons gagné 10 minutes puisque nous sommes montés en 1h10. Quelques photos également, enfilage d'un coupe-vent et descente sur Valloire où un ami d'ami de Bernard nous invite à prendre le café dans son restaurant népalais.

 

Nous quittons l'ambiance douillette du restaurant et nous nous retrouvons projetés sous la pluie par une température de 11°C. Nous montons bien mais à Plan Lachat, c'est carrément le déluge. Pas envie de me changer, je reste donc en cuissard, stoïque sous la pluie battante, à attendre qu'un troupeau de moutons fumant traverse la route. Bernard s'est arrêté plus bas pour s'équiper (veste antipluie et sacs en plastique sur les chaussures). Je l'attends au lacet suivant. Il fait 6°C et la pluie s'est calmée.

"La route est toujours bonne mais plus d'ombre. Quelques grimpettes, du plat et cela recommence, enfin cela monte et ce n'est plus de la fantaisie. Je longe un superbe ruisseau dans lequel je devine de nombreuses truites...un peu avant le Plan Lachat les restes d'une avalancheuse sous laquelle l'eau passe me paraissent intéressant je tire une photo, quitte ma chemise Lacoste et repars.

 

 

Le plan Lachat. Une fontaine et un baquet plein d'eau dans lequel je pique une tête ce que j'apprécie énormément. Je me gargarise, bois deux gorgées. Repars. Me voici dans les lacets. La route vient d'être refaite et malgré le pourcentage je monte bien mais la belle route est vite finie, voici l'ancienne qui n'est pas trop mal mais du gravillon, du sable. La roue arrière dérape et patine et il fait très chaud mais je grimpe. Je rattrape un tombereau avec presque rien dedans. Je demande si cela monte toujours pareil ! Après les gorges à 100 mètres, un peu moins. Je descends et marche jusqu'aux gorges où je bois une cruche excellente et très fraîche. Je suis à 4 kilomètres du sommet. Je repars pendant 2 kilomètres, la côte est en effet moins rude mais sur la fin ça recommence et la route est encore plus mauvaise.

 

Me voici en haut, c'est midi et demi. J'ai mis 4h45 arrêt compris."

Sommet à 5 km. Nous voyons - à peine - la stèle dédiée à Marco Pantani. Il commence à neiger. Nous croisons deux voyageurs à vélo, 10 cm de neige sur les sacoches. Ils hurlent ... de plaisir, de joie sûrement. Il est vrai que le moment à quelque chose d'irréel, d'unique, d'exaltant même si je commence à avoir vraiment froid aux jambes, aux pieds et aux mains ! A l'entrée du tunnel, la tempête nous cueille, des bourrasques de neige, du vent fort et plus que 3°C. Encore un kilomètre. Au sommet, pas le courage de sortir l'appareil photo. On se cache tant bien que mal à l'abri du vent derrière une remorque pour enfiler tout ce qu'on a et filer (un bien grand mot en l'occurrence) sous la neige puis la pluie jusqu'au col du Lautaret où l'on essaiera de longues minutes de se réchauffer les doigts.

 

Toujours sur la pluie, nous nous dirigeons, vent dans le dos, vers Monetier-les-Bains où nous nous arrêtons pour pique-niquer frugalement : il ne nous reste que du pain et du fromage. Ensuite, nous partons nous réchauffer dans un café. Deux filles viennent jouer du violon sur la terrasse, 4 seniors apprécient et applaudissent. Pendant ce temps, Bernard s'est allongé et endormi sur la banquette (et je me rends compte que dans mon journal, j'avais écrit "banquise"... comme quoi j'avais eu bien froid !) alors que je regarde à la télé, l'oeil hagard et le cerveau vidé,  l'étape des pavés du Tour de France. Cette scène, qui pourrait être tirée d'un film de Kaurismaki ou d'un livre de Jean-Bernard Pouy (Cinq nazes par exemple), cette scène donc éclate tellement le propriétaire du café qu'il en appelle ses potes pour qu'il vienne rire avec lui !

Départ pour Briançon où nous retrouvons notre hôte Gaëlle à la bibliothèque où elle travaille. Achat de pâtes, sauce, fromages et bières ... Un festin se prépare !!!

De quoi terminer idéalement une journée qui restera gravée à tout jamais. C'est cul-cul à dire, à écrire mais c'est vrai ... Dans 79 ans on reparlera encore du Galibier gravi sous la neige ...